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l’invention ou la diffusion en revienne aux Sémites. Les Florentins pratiquaient la vente à terme sur les « parts des monts » dès le XIVe siècle. Elle s’est étendue à toutes les grandes marchandises et à tous les grands marchés du globe. Quels qu’en soient les abus, c’est elle qui fait l’élasticité, qui fait la force de résistance et la capacité d’absorption du marché[1]. C’est le marché à terme qui approvisionne l’industrie de houille, de fer, de coton, de laine, comme c’est lui qui souscrit les grands emprunts et prépare les grands travaux publics. Supprimer la Bourse ou, ce qui reviendrait au même, prohiber le marché à terme, ce ne serait pas seulement frustrer le commerce et l’industrie des facilités dont ils ont besoin, partant affaiblir les forces productrices du pays et entraver le développement de la richesse; ce serait abaisser le crédit national, priver la France d’un instrument précieux pour la guerre comme pour la paix.


IV

Comment, en effet, se borner, quand on disserte ou qu’on moralise sur la Bourse, à ne regarder que la fortune privée et les intérêts particuliers? C’est là un point de vue étroit et, pour nous, c’est le moins élevé, comme le moins important. La question est plus large et plus haute. Elle touche à des intérêts qui nous sont plus chers que ceux de la banque ou du commerce, que ceux mêmes des rentiers et des capitalistes grands ou petits. Elle affecte directement la puissance nationale. Le marché financier a son rôle dans la vie des États ; et sa prospérité n’est pas indifférente à la grandeur des nations. La Bourse a plus fait pour la diffusion de nos rentes françaises que tous nos ministres des finances. La Bourse et le crédit public se tiennent: inquiéter la Bourse, lui rendre les affaires malaisées, étouffer ou décourager la spéculation par des règlemens vexatoires ou par des impôts excessifs,

  1. Cela seul nous ferait douter du bien fondé de projets de réglementation qui, en sanctionnant les marchés à terme, prétendent interdire toute convention dans laquelle l’intention commune des parties est d’exclure la livraison des denrées, marchandises ou valeurs mobilières sur lesquelles elles ne traitent qu’en apparence. Tel, par exemple, le projet présenté au Sénat de Belgique, en 1896, par M. Lejeune, ministre d’État. Outre qu’on ne voit pas comment on prouverait toujours quelle est l’intention des parties, et si l’objet du contrat se borne ou non à une simple différence de cours, on risquerait fort, avec un pareil système, d’enlever à la Bourse toute élasticité et toute puissance d’absorption.