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de moins près[1], la Bourse contribue à développer la production en permettant aux personnes économes de trouver, à chaque instant, des valeurs pour leurs placemens, et en rendant aisée la réalisation de ces valeurs. Elle stimule l’épargne, elle la pousse à utiliser ses capitaux, en les faisant servir à la production, au lieu d’enfouir ses écus, stérilement, comme les thésauriseurs de jadis. Elle facilite, ainsi, la constitution et le fonctionnement des grandes entreprises, en attirant l’argent vers elles, et en assurant un marché à leurs titres. Il est vrai que, ici encore, le mal est voisin du bien, et que, aux époques d’agiotage, les capitaux se détournent de l’agriculture et de l’industrie, pour se jeter dans de périlleuses spéculations de Bourse. La France et l’Europe en ont, trop souvent, donné le triste spectacle. L’équilibre entre les différentes fonctions économiques et les divers facteurs de la production est alors rompu. La Bourse attire à elle des capitaux qui seraient plus utiles ailleurs, elle pompe stérilement les richesses du pays, aspirant à la fois les économies des gens timides qui cherchent un refuge dans les rentes de l’Etat et les ressources des audacieux prêts à tout braver pour conquérir la fortune.

Cet hôtel de la spéculation, Bourse des valeurs ou Bourse du commerce, flamboie, aux yeux des moralistes, d’une lueur sinistre. On le voue à l’exécration des hommes, comme l’antre de Satan et la caverne de Mammon. Quelques-uns y voient le nouveau temple de Moloch, l’odieux Melcarth tyrien qui faisait passer les enfans par les flammes de ses bras d’airain. A l’inverse de Proudhon, qui regardait la Bourse comme le monument par excellence de notre société bourgeoise, certains lui refusent tout caractère indigène, affectant d’y reconnaître une institution étrangère à notre sol gaulois et à notre civilisation soi-disant aryenne. Ils veulent y découvrir une importation d’une autre race, introduite en pays chrétien par des tribus exotiques. A les en croire, les frontons à la grecque et les colonnades pseudo-classiques sont, pour nos Bourses modernes, un travestissement imposteur. Au lieu de singer lourdement les basiliques de Borne ou les temples de l’Hellade, nos Bourses européennes devraient, tout comme les synagogues ou les loges maçonniques, avouer, dans leur façade, leur origine orientale. C’est en style judéo-phénicien, — si les Sémites de Syrie

  1. M. Paul Leroy-Beaulieu, Précis d’économie politique, p. 270.