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matérialisme de nos sociétés. Supposez une société privée de richesse, ou encore une société pauvre en esprit, selon la parole évangélique, la Bourse y tiendra peu de place. Mais telle n’est pas la société contemporaine, telle n’est pas la démocratie moderne. Au lieu d’être pauvre en esprit, elle est riche de convoitises, et l’ardeur de ses aspirations vers la richesse fait de la Bourse le centre vers lequel convergent les regards et les désirs.

Qu’est-ce, en somme, que la Bourse? Une chose bien simple, un marché, une halle, une foire des valeurs. Pour la rendre inutile, il faudrait abolir la propriété et les Sociétés par actions, « nationaliser » l’industrie et le commerce, faire de l’Etat l’unique patron, le seul producteur et le seul marchand; il faudrait, en un mot, établir le collectivisme. Et encore, alors même que serait réalisé le rêve enfantin des disciples de Marx, pour peu que le nouveau régime laissât aux hommes de liberté, il se formerait une Bourse, où, faute d’autres titres, l’on spéculerait sur les bons de travail. Aux valeurs comme aux denrées, il faut en effet un marché où se produisent librement l’offre et la demande dont la rencontre peut seule déterminer les prix; un marché public, où chacun puisse, à toute heure, et à peu de frais, réaliser son avoir ou placer ses bénéfices. Et, à cet égard, on ne saurait nier que la Bourse remplit parfaitement son objet.

Elle opère, chaque jour, sur des quantités énormes de titres; et nulle part, en somme, les intermédiaires, — ces indispensables parasites, tant vilipendés de la foule, — ne coûtent moins cher au public. Force est bien d’en convenir, si peu sympathiques que nous soient les gens de Bourse et les jeux de Bourse, la Bourse est, dans notre pays de France, une des institutions qui accomplissent le mieux leur office. A qui la contemple du haut de ses galeries intérieures, quand les cris des agens et les vociférations des courtiers la remplissent de clameurs assourdissantes, la Bourse de Paris semble une réunion de forcenés en délire. Il n’en est rien; la guerre perpétuelle des haussiers et des baissiers, les combats quotidiens des taureaux et des ours, des bulls et des bears, comme disent les Anglais, ont eux-mêmes leur utilité pratique. Quelque vilaine besogne qu’il se fasse parfois sous ses maussades colonnades, raser la Bourse serait priver la France d’un organe non moins nécessaire à la vie publique qu’à la vie privée. Les économistes n’ont pas de peine à en montrer les services. Selon la remarque d’un écrivain que je citerais plus souvent s’il me tenait