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public. Contrairement au préjugé vulgaire, en facilitant les échanges, elle tend à diminuer les écarts entre les prix. Elle est plutôt, pour le marché, une cause de stabilité que de perturbation. L’équilibre qu’elle semble travailler à détruire, elle tend elle-même à le rétablir, les témérités de la hausse amenant fatalement la baisse, et les imprudences de la baisse finissant par ramener la hausse. C’est comme une bascule en mouvement perpétuel, qui, par ses balancemens en sens inverse, fait bientôt remonter ce qu’elle avait tout à l’heure fait descendre. Ceci nous amène à la Bourse et au rôle de la Bourse.


II

Dans nos États modernes, la spéculation a sa maison, son hôtel, son temple. C’est ce qu’on appelle en France la Bourse, — Bourse des valeurs mobilières, — Bourse du commerce, des denrées ou marchandises. Aucune nation civilisée ne saurait se passer de Bourse; toutes les capitales, on pourrait dire toutes les grandes villes en ont une, et l’importance de ce rendez-vous de la spéculation est en raison de la richesse des divers pays. « La Bourse est le monument par excellence de la société moderne, » disait déjà Proudhon, sous la deuxième République. Proudhon la grandissait outre mesure. La Bourse n’est qu’un des monumens indispensables à nos sociétés industrielles. Il est vrai qu’elle y tient une grande place, — je dirai tout le premier, — une trop large place. A mesure que baissent, dans l’estime des hommes, les biens qui faisaient contrepoids à l’amour des richesses; à mesure que les vieilles religions, que la foi aux paradis invisibles, la superstition de l’Honneur et de la Gloire, la passion désintéressée de la Science et de la Liberté se laissent détrôner par le culte de l’argent, le profil de la Bourse se dresse au-dessus des nations et semble les dominer de plus haut. Les clochers aériens des cathédrales, les coupoles des académies et des observatoires, les frontons des palais législatifs et les beffrois des hôtels de ville s’abaissent, également devant les lourds portiques de la Bourse. Elle est, déjà, pour nombre de nos contemporains, comme le mihrab, la kaabah nouvelle vers laquelle s’orientent, des quatre coins du monde, les regards et les supplications des adorateurs de Mammon. Cette importance croissante de la Bourse, la faute en est à deux choses, surtout : à la diffusion de la richesse mobilière et au