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— songez aux drames auxquels assiste impuissant ce village caché là-bas dans les anfractuosités du rocher gris, posé comme en attendant sur les îlots qui lui dessinent un port, avec ses maisons rouges, blanches et jaunes, si calme aujourd’hui en ce repos d’été, dans cette courte trêve des élémens. La saisissante sensation de cette tragédie de la mer et de la mort, ne la retrouvons-nous pas dans l’image même de ce chaos apocalyptique des Lofoten, produit monstrueux de la lutte éternelle entre la terre et l’eau? Quelle vision de terreur!


Harstad. — La région des grandes îles. Comme à la découverte, le bateau cherche sa voie tortueuse dans d’étroites passes, sans issue apparente, bordées de collines verdoyantes et de sombres montagnes taillées à pic qui avancent leurs promontoires sur notre chenal maritime. Les détroits et les tournans se succèdent, les golfes, les isthmes, les caps s’accumulent; impossible de deviner le chemin que va suivre le pilote dans ce labyrinthe où les routes se coupent, se perdent et se retrouvent comme les sentiers d’une forêt. L’eau calme lèche doucement la rive de roches blanches, ou vertes de mousse, ou brunies par les algues, et les claires collines où pousse l’herbe drue se détachant sur le fond de neige des montagnes à l’horizon, comme un paysage d’été devant un paysage d’hiver; tout brille, tout reflète la molle lumière du soleil bas, du pâle soleil qui donne trois mois par an la vie à cette terre. — Les villages sont rares dans cette solitude grandissante et dans cette nature appauvrie. En voici un, qui occupe les deux bords du détroit large d’un mille : ses trois ou quatre douzaines de maisons, peintes aux couleurs vives, très distantes les unes des autres, sont blotties près de l’eau dans la puissante verdure septentrionale. Haute et mince, posée sur son socle de roche, l’église de bois toute blanche fait centre, et figure la communauté disséminée des habitans et des maisons : voilà l’âme du village. Aujourd’hui dimanche, les habitans venus en barque se massent devant elle, le service fini, auprès du cimetière qui l’entoure et qui doit tous les prendre un jour. C’est bien la grande église de Brand.

Tromsœ. — Il pleut depuis ce matin, on ne distingue pas le ciel de l’eau, et les montagnes bleuâtres qui semblent fermer les deux bouts du détroit ne s’aperçoivent qu’à travers un nuage.