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industriel hors ligne ; Vaillant et Randon, des soldats de valeur ; Magne, un homme d’affaires habile, Giraud, ami intime de Thiers, érudit et spirituel ; Brenier, diplomate expérimenté ; Germiny, financier connu. Ils avaient le tort irrémédiable aux yeux des chefs parlementaires de ne pas appartenir à l’Assemblée et de n’être pas les serviteurs de ses passions.

Ce ministère d’attente constitué, le Président mis en éveil par la conduite du général Neumayer et ne voulant pas que l’incident se reproduisit, commença à sélectionner l’armée de Paris. Il était sûr des soldats, des sous-officiers et des officiers ; il l’était moins des généraux. Quelques-uns, tels que Bosquet, professaient des opinions républicaines ou demeuraient attachés à Cavaignac et à Lamoricière, d’autres aux princes d’Orléans ou à Changarnier. Il fallait sans bruit envoyer au loin les corps qu’ils commandaient et les remplacer par d’autres, conduits par des chefs amis. Enfin il fallait mettre à la tête de cette armée de choix un général aussi audacieux que Changarnier, et plus fidèle. Si le Président ne réussissait pas dans cette double opération, il restait à la merci de ses ennemis. Il n’eût certainement pas réussi, si son heureuse étoile ne lui avait amené le commandant Fleury.

Fleury était fils d’un riche négociant de Paris qui lui laissa une jolie fortune. Il la dévora en folies de jeunesse. A la veille d’être réduit aux abois, il se rendit en Angleterre, vers 1837, dans l’espérance de se refaire par un riche mariage. Il ne trouva pas l’héritière, mais il fut présenté par Persigny au Prince, alors de retour des Etats-Unis. Ces premières relations furent banales et fugitives. A Paris, réduit à l’extrême, il se demanda s’il se brûlerait la cervelle ou s’il s’engagerait. Il s’engagea dans les spahis de Yusuf, gagna la confiance de son chef, devint son secrétaire, son inspirateur, son ami. Yusuf le poussa rapidement, chose facile, car, s’il ignorait la science militaire, il savait caracoler, parader, se procurer de superbes chevaux, et il était brave, séduisant, fort aimé de ses camarades. En 1848, après douze années de séjour en Afrique, Lamoricière signa sa nomination de chef d’escadrons. L’officier n’avait pas été plus ménager de ses deniers que le fils de famille ; il ne s’était guère astreint aux règles de la comptabilité ; et il dut venir à Paris en congé pour chercher les moyens de liquider sa situation à Orléansville qu’il quittait. N’avant pu encore aborder Lamoricière, il se promenait tristement aux Tuileries quand il rencontra le général de Beaufort : « Quelle chance