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pontife du culte universel, mais il doit y vivre sans pouvoir d’Etat, ni territoire. Sa personne y sera indépendante et inviolable ; ses palais, ses villas, ses églises inviolables aussi comme le palais des ambassadeurs ; une loi débattue avec l’Etat établirait ces garanties et les mettrait d’accord avec le bon ordre et la justice ; il serait subvenu aux dépenses d’entretien de l’Etat ecclésiastique par une dotation de l’Italie ou, plus dignement encore, par la contribution des peuples catholiques. Débarrassée de la sixième de ses plaies, celle du pouvoir temporel, oubliée par Rosmini, la Rome nouvelle brillerait d’une splendeur inconnue ; elle deviendrait un forum et un sanctuaire, une cité et un temple sibyllin ; elle montrerait à l’Univers émerveillé la Diète italienne, consistoire des laïques, et le consistoire des cardinaux vivant à côté l’un de l’autre dans la paix et l’harmonie.

De ces hauteurs extatiques Gioberti descendait dans les réalités et essayait de les prédire et de les diriger. Pour réunir en une unité une nation démembrée, il faut un grand ministre et une puissante alliée. Le grand ministre existe, ce sera Cavour. Son brio, son activité, même son erreur magnanime de régir une province comme si elle était une nation, contrairement à ceux qui traitèrent la nation comme si elle était une province, tout le désigne aux Italiens et il saura gagner leur confiance par des actes d’italianité. L’allié existe aussi, c’est la France. Jamais, même si elle devenait possible, l’alliance autrichienne, pleine de malheurs et de honte ! Mieux vaut mourir seul que vivre déshonoré. On ne peut compter sur la Prusse qui vient de refuser follement la gloire de l’hégémonie allemande et qui est de plus lige de la Russie et de l’Autriche. L’Angleterre est une puissance maritime de secours inefficace ; elle n’accorde d’ailleurs son appui qu’au prix d’un dur vasselage. L’alliance de la France est seule souhaitable, naturelle, utile. Indépendamment de la contiguïté matérielle, de l’affinité des mœurs et de la langue, toutes les deux sont riveraines d’une mer commune qui les rapproche plus que les rochers et les neiges des Alpes ne les séparent. L’alliance stable de ces deux patries pour la délivrance italienne préparerait peut-être un jour l’union des peuples latins complétée par l’adjonction de la normande Angleterre, en opposition à la ligue baltique des races slavo-allemandes du nord.

Gioberti s’est-il donc identifié à Mazzini, qui depuis son adolescence prêchait l’unité et la destruction du pouvoir temporel ?