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un romancier oublié.

mène au camp prisonnier. Richelieu entend parler de cet exploit, s’intéresse au jeune volontaire, fait de lui un de ses pages. Le page devient son confident et, à sa mort, celui de son successeur Mazarin ; si nous voulons quelques détails sur la longue tragi-comédie de la Fronde, il était sur le théâtre, et nous pouvons nous adresser à lui.

À moins que nous ne préférions nous adresser à d’Artagnan : celui-ci en sait encore plus long et s’est remué bien davantage. Toute vie semblerait banale et plate en comparaison de la sienne. Ce cadet de noblesse venait de quitter son Béarn ; au petit trot d’un vieux cheval, il cheminait sur la route de Paris, léger d’argent, mais la mine altière, étant d’un pays dont c’est la coutume « quand on n’aurait pas un sou dans sa poche, d’avoir toujours le plumet sur l’oreille et le ruban de couleur à sa cravate. » Entre Blois et Orléans, il voit un hobereau sourire à la vue de son bidet ; il lui cherche querelle, a du dessous, est jeté en prison, et le premier soin du greffier est de lui prendre, avec une lettre de recommandation adressée à M. de Tréville, les dix écus qui constituaient tout son avoir. Au bout de quelques semaines, on lui rend la liberté : il arrive à Paris, sans ressources et sans protection. Il se présente chez M. de Tréville, trouve là des jeunes gens de sa province, Porthos, Athos, Aramis, qui, par politesse, l’invitent à ferrailler avec eux le matin même contre quatre gardes du cardinal ; il blesse un des gardes et en tue le lendemain un autre ; cela lui vaut une petite semonce et un cadeau du roi, plus un brevet de cadet dans les gardes de M. des Essarts. Il est quelqu’un. Il fait la conquête de sa logeuse. Quand il a un procès, elle s’endette pour en payer les frais, et il maudit, comme il sied, ces ruineuses procédures qui obligent les jeunes femmes à s’endetter pour leurs amans. Entre temps, il fait campagne, est remarqué de Mazarin qui lui confie de périlleuses missions en France et à l’étranger ; il achète une lieutenance dans les mousquetaires et a ses entrées à la Cour. Un Anglais et une Anglaise, devant qui il a raillé très haut le caractère de leur nation, jurent tous deux de se venger. L’Anglais, qui s’y prend mal, le provoque et reçoit un bon coup d’épée. Milady s’y prend mieux ; elle lui envoie un billet doux, fait avec lui la coquette, l’enflamme, et quand elle le voit éperdument épris, le met à la porte en lui criant dans un éclat de rire : « Je suis vengée. » Croit-elle avoir le dernier mot avec le rusé gascon ? Il séduit sa