Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
817
un romancier oublié.

naît point ; il n’est qu’à demi rassuré : « Il y retourna le lendemain, et ayant demandé qu’on lui fît venir quelque chose qui valût la peine, on lui amena celle qu’il voulait ou celle qu’il ne voulait pas ; car au même temps il se prit à pleurer comme un enfant, et s’en étant allé à l’heure même sans rien dire, il monta à cheval et s’en retourna chez lui sans voir personne. » — M. de Clodoré, aide de camp de Turenne, « avait le malheur d’avoir épousé une femme coquette, et une fois qu’il revenait de l’armée, un de ses amis l’ayant obligé en passant à Paris de l’accompagner dans un lieu de débauche, il l’y avait trouvée qui dans son absence tâchait à y prendre son plaisir... Il l’avait non seulement maltraitée sur-le-champ, mais encore mise en religion ; cependant, par un retour bien surprenant, surtout à une personne qui avait toujours passé pour homme d’honneur, il l’avait reprise quelque temps après et était actuellement avec elle. » Sandras a mentionné plusieurs cas analogues, et on ne fait pas ainsi profession de recueillir les faits divers d’une époque sans y acquérir quelque connaissance du cœur de l’homme et de ses misères. Il y aurait à extraire des Mémoires de d’Artagnan des réflexions sur la jalousie qui, formulées à la diable, n’en sont pas moins pénétrantes ; celle-ci par exemple : « Les jaloux sont d’une étrange espèce ; ils écoutent, cherchent, furettent, se renseignent de leur mieux, et quand on leur met le nez dans leur malheur, ils ne veulent plus rien croire » ; ou cette autre qui ne contredit pas, qui complète la première : « C’est un goût dépravé, une sorte de maladie chez les jaloux, qu’ils sont contens seulement lorsqu’ils ont vu leur femme ou leur maîtresse dans les bras d’un autre. »

Il est au reste bien loin, et l’on s’en doute, d’avoir su dégager de la vie de son temps toute la comédie humaine qu’y a vue Saint-Simon. Il en a tiré, comme il le dit, des « faits singuliers » ; il y a cherché l’aventure. Ne lui en faisons pas un crime. L’aventure ne serait pas demeurée jusqu’à la Nouvelle Héloïse le principal attrait du roman, si elle n’avait été jadis un élément de la vie réelle. Le pittoresque et l’imprévu n’avaient pas disparu du train quotidien de l’existence. C’était le temps où les femmes se masquaient pour aller à la promenade, où les hommes portaient l’épée, où la guerre ne faisait relâche que durant la mauvaise saison. C’était le temps des voyages à cheval ou en poste, avec les bonnes et les mauvaises fortunes des nuits d’auberge, avec les mille et une péripéties possibles : l’essieu qui se casse, le postil-