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un romancier oublié.

des emprunts aux conteurs espagnols, moitié avec les ressources de sa propre imagination. Ravisseurs respectueux, reconnaissances à point nommé, réunion à l’autre bout du monde de deux amans que le destin a séparés et qui depuis des années courent l’un après l’autre, lettres perdues et inévitablement tombées aux mains d’un rival ou d’un jaloux, morts qui ressuscitent, hommes qui se déguisent en femmes, femmes qui se déguisent en hommes, ressemblances telles qu’une mère, qu’une maîtresse s’y trompent : tel est le romanesque de convention et de routine qui s’est si longtemps imposé à notre littérature. S’il est encore dans Zayde, s’il en reste des traces jusque chez Lesage et chez l’abbé Prévost, ne soyons pas surpris que les chétifs romanciers dont je parle n’aient pu s’en affranchir. Convenons seulement qu’il n’a jamais paru plus pauvre, plus monotone, et surtout plus faux que dans leurs écrits. Les noms de leurs héros, leurs pièces justificatives et leurs préfaces ne font qu’en accuser le ridicule. La fraude éclate à tous les yeux, et il est assez plaisant de découvrir en dernière analyse que ces soi-disant historiens ou historiographes, Preschac, Lesconvel, Mlle de La Force, Mmes de Murat et d’Aulnoy n’ont à demi réussi que dans le conte de fées.

III

Il y a pourtant un romancier de cette école dont Bayle invoque, non sans un peu de gêne et de défiance, mais enfin dont il invoque à sept ou huit reprises le témoignage dans son Dictionnaire à l’article Louis XIII : c’est Sandras.

Celui-là est un maître dans l’art de faire des dupes. Si, de temps à autre, il se donne encore pour le biographe de personnages célèbres ou tout au moins connus, il feint plus ordinairement de n’être que leur éditeur. À l’égard de d’Artagnan, il s’est borné, dit-il, à rassembler « quantité de morceaux trouvés parmi ses papiers après sa mort », et à y mettre « quelque liai- son ». Son mérite, à ce compte, serait bien mince, la liaison étant ce qui manque le plus aux Mémoires de d’Artagnan. Il n’a même pas eu, s’il faut l’en croire, ce léger service à rendre au comte de Rochefort ou à M. de Bouy : il publie leurs Mémoires tels qu’ils les ont laissés. À la vérité, il néglige de nous dire comment tant de manuscrits de provenance différente sont venus en sa possession ; à peine songe-t-on à le lui demander. Ses Avis au lecteur,