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un romancier oublié.

quelque chose d’original et de fécond qu’entre les mains de Sandras, si c’est véritablement grâce à lui qu’à la fin du règne de Louis XIV le roman a, comme on dit, évolué, ne vaut-il pas la peine de préciser son rôle et de distinguer de ses médiocres rivaux l’auteur des Mémoires de M. d’Artagnan ?

II

Ce sont de pauvres écrivains que les romanciers de la fin du xviie siècle. Depuis la représentation des Précieuses ridicules le roman était diffamé sur le Parnasse, et aucun des grands classiques n’avait voulu s’y essayer. Libre à nous de le regretter, de rêver d’un roman d’analyse qui serait de l’auteur de Bérénice, d’un roman de mœurs que l’auteur des Caractères aurait écrit. Vaine chimère ! Ils ne se doutaient pas, ces amoureux du vrai, que le genre cher à Cathos et à Madelon pût un jour, et mieux qu’aucun autre se prêter, à l’expression du vrai ; et ils s’en écartaient avec dédain. Les grimauds, en revanche, se disputaient une si belle proie, et on ne sait ce qu’il faut le plus admirer de l’obscurité ou du nombre de ceux que le roman faisait vivre. Quel Petit dictionnaire des grands hommes que la Bibliothèque de Lenglet-Dufresnoy, s’il avait l’esprit de Rivarol ! Citerai-je Vannel, Lesconvel, Le Noble, Preschac, ou bien Mmes d’Aulnoy, de Murat, Du Noyer, Durand, ou encore Mlles Lhéritier, de La Force et de La Rocheguilhen ? Ils ne valent ni plus ni moins que beaucoup d’autres qui étaient comme eux, — c’est le mot de Lenglet-Dufresnoy, — des « pépinières de petits romans », et sont comme eux oubliés.

Quoique le genre eût en 1678 donné son premier chef-d’œuvre, la Princesse de Clèves, la période des tâtonnemens n’était donc pas pour lui close. L’art exquis de Mme de La Fayette, l’art qui prête la vie à des créatures de rêve et fait de leurs souffrances un drame humain, n’espérons pas le retrouver chez un Preschac ou une Mme Durand. De son art, ils n’avaient vu que l’extérieur : c’est le cadre, le même que celui de ses premières Nouvelles, c’est la couleur historique, c’est en d’autres termes ce qu’il y avait encore d’artificiel et de fictif en cette œuvre si sincère, qu’ils s’efforçaient de reproduire. Ne faisons pas à Mme de La Fayette le tort de les appeler ses disciples : ils sont ceux de sa contemporaine, de son émule sans génie, Mme de Villedieu.