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un romancier oublié.

exploits de jeunesse, l’histoire anecdotique du règne de Louis XIII et de la Fronde. À la suite de quels déboires ou de quelle équipée a-t-il quitté la casaque ? On ne sait. En 1683, il passe en Hollande. La Hollande était au xviie siècle ce que l’Angleterre est devenue plus tard, la terre d’asile, le refuge ouvert aux plus nobles ainsi qu’aux plus louches infortunes. De grands esprits et de grands cœurs y venaient goûter la douceur de penser ou de prier librement ; les chevaliers d’industrie et leurs compagnes, celle de ne point finir leurs jours sur les galères du roi ou entre les murs de l’Hôpital. Dans ce milieu cosmopolite et composite le regard pouvait embrasser tous les contrastes et tous les caprices de la destinée humaine ; la vie s’y présentait sous son aspect le plus romanesque ; et si le talent de l’abbé Prévost garde, comme je le crois, la trace de son séjour dans les hôtelleries de la Haye ou d’Amsterdam, il n’est pas surprenant qu’avant lui Sandras y ait senti s’éveiller sa vocation de romancier. La Hollande était de plus la grande imprimerie internationale des chroniques scandaleuses, gazettes et libelles ; il trouvait autour de lui tous les matériaux nécessaires à sa besogne, et ses débuts d’écrivain datent, semble-t-il, de l’année même de son arrivée. Il rentre en France dans le courant de 1689, retourne en Hollande en 1694, revient de nouveau en France en 1702 et le voilà cette fois à la Bastille. Tant d’allées et venues entre deux pays qui étaient en guerre, d’allées et venues qui aboutissent à la prison d’État, n’ont pas trop bonne mine. On songe malgré soi qu’il a mis souvent en scène les agens de la politique secrète, qu’il possède à fond leurs manèges et leur langage ; la pensée vient qu’il les a peut-être étudiés d’un peu plus près qu’il ne faut, et qu’avec le goût des intrigues, des missions confidentielles et scabreuses, il se pourrait qu’il en eût la pratique. Mais le fait est que ce soupçon ne repose sur aucune preuve. Il est tout aussi légitime et infiniment plus simple d’admettre qu’en s’expatriant il cherchait, comme plus d’un autre écrivain, à se soustraire aux tyrannies de la censure, et que son tort fut de compter à son retour, en 1702, sur le pardon ou l’oubli du lieutenant de police : les témérités et les indiscrétions de toute nature dont son œuvre est faite, suffisaient, certes, à lui assurer un logement à la Bastille. Il n’en sortit qu’en 1711 et mourut l’année suivante ; il avait trouvé dans l’intervalle le temps de se remarier pour la troisième fois.

Ce n’était point un homme à scrupules. S’il en était un, il serait