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VII

Car c’est bien d’une crise universelle, qui dépasse les frontières d’un pays et d’un continent, que j’ai tracé ici le tableau. À cette heure, le sort des gouvernemens libres, du régime parlementaire, des institutions représentatives est partout en question. Là même où les principes du self-government semblaient consolidés depuis des générations, des courans nouveaux en ébranlent les fondemens avec violence. Il serait vain de prétendre donner, même en raccourci, une description de ce phénomène. Qu’il me suffise d’en noter rapidement les traits les plus saillans.

En Angleterre, nous avons assisté à une volte-face de l’esprit public qui équivaut à une vraie révolution morale. Pendant les cinquante années qui suivirent la grande réforme électorale de 1832, le libéralisme semblait avoir irrévocablement triomphé. De 1830 à 1874, le parti libéral occupait seul le pouvoir pendant trente-deux années, le partageait quatre ans sous lord Aberdeen avec les amis de Peel, et ne le laissait que huit ans aux conservateurs. Ceux-ci, pendant toute cette période, ne voyaient qu’une seule fois — en 1841 — les électeurs leur donner la majorité à la Chambre des communes. Quant au programme libéral, si les libéraux le réalisaient graduellement à la tête des affaires, les conservateurs, une fois au pouvoir, en maintenaient les articles mêmes qu’ils avaient le plus vivement combattus dans l’opposition et, cédant à la pression de forces irrésistibles, prenaient même l’initiative des mesures les plus radicales : Peel, en 1846, de l’abrogation des droits sur les céréales, Disraeli, en 1867, de la réforme électorale. Mais tout cela n’était rien auprès de ces deux faits : la pénétration intime de l’esprit conservateur par les doctrines propres du libéralisme, tellement que Robert Peel était peut-être un plus authentique représentant de la tendance progressiste que lord Job Russell, et que le dernier lord Derby eût rendu des points à Cobden et à Bright sur le terrain du laisser faire économique et de la paix à tout prix; puis l’accession constante, ininterrompue, en quelque sorte fatale, des jeunes générations, à mesure qu’elles prenaient conscience d’elles-mêmes, à la foi libérale.

L’apogée fut atteint sous le premier ministère Gladstone, de 1868 à 1874. À cette dernière date, la victoire électorale de Disraeli en marqua le terme. Depuis lors, grâce à une série de