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de l’héritage des républicains ou, tout au moins, des libéraux. L’un de ces principes ne pouvait triompher sans que, du même coup, la République ou du moins le régime parlementaire n’en reçût un puissant élan. Inversement ni le parlementarisme ni surtout la République ne pouvait s’établir sans donner à ces principes un commencement d’application. Ainsi s’était nouée une sorte d’alliance matrimoniale indissoluble. Aujourd’hui elle est singulièrement relâchée, si même le divorce n’est pas accompli. D’une part, on ne saurait dire que la République, sous le règne de l’opportunisme, se soit montrée bien fidèle et bien exacte à tirer ces conséquences libérales de son principe. D’autre part, beaucoup de ces libertés, jadis en fort mauvaise odeur auprès des champions de l’autorité, leur ont fait apprécier, dans l’opposition, leur caractère bienfaisant et tutélaire. Dans une large mesure elles sont devenues le patrimoine commun de tous les partis et de tous les esprits. Des engagemens ont été pris, auxquels sans doute il ne faudrait pas se fier outre mesure si, dans le même temps, des habitudes, difficiles à perdre, ne s’étaient formées. En cessant donc d’être le monopole du régime républicain, ces libertés nécessaires, postulats essentiels du libéralisme minimum, sont devenues le bien commun de tous les partis ; elles se sont comme incorporées à la substance même de l’esprit public. Il y a tout lieu de croire qu’un troisième empire, si la France devait courir une fois de plus l’aventure bonapartiste, différerait du second, en fait de franchises civiques et d’institutions libérales, autant pour le moins que celui-ci différait déjà, sous ce rapport, du premier.

La consolation d’ailleurs est mince : ce n’est point là un soporifique à administrer à ce pays de France en face des luttes viriles où ses intérêts comme son devoir le doivent engager contre le césarisme sous toutes ses formes. Il y va de l’honneur national. Il y va de l’issue même de cette grande évolution qui emporte les sociétés modernes vers un avenir encore obscur et qui dégénérerait bien vite en un grossier matérialisme sans le noble effort moral d’un peuple libre, maître de soi, ferme en ses desseins, tendant tous les ressorts de son être, reconnaissant la souveraineté de la conscience et s’exerçant à la pratique sans défaillance de toutes les libertés.