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force un moyen pacifique et régulier de dévolution du pouvoir. L’histoire du dernier quart de siècle est là pour dire qu’ils avaient vu juste et que leur œuvre, en tant qu’elle n’a fait que consacrer et organiser la réalité, est définitive.

Ce succès a d’autant plus de prix que la troisième République ne le doit pas à l’absence d’assauts et de crises. Elle a subi, dès l’origine, de redoutables épreuves, dont les plus périlleuses n’ont peut-être pas été celles que lui ont infligées ses adversaires. Pendant les six ou sept ans qui suivirent la chute de Thiers, elle fut gouvernée par les ennemis de son principe. Les noms du 24 et du 1 6 mai résument ces années de combat et d’apprentissage dont après tout elle n’eut pas trop à se plaindre.

Sous la diversité ou même la contrariété apparente des situations, il est plus d’une analogie profonde entre cette période et les cinq premières années de la Restauration. Entre l’ordonnance du 5 septembre 1816, qui prononça la dissolution de la Chambre introuvable et l’assassinat du duc de Berry. en février 1820, qui lança la France en pleine réaction, la monarchie de Louis XVIII, la légitimité fut entre les mains de politiques, — les Decazes, les Pasquier. les de Serre, les Gouvion Saint-Cyr, les Dessolles, — qui n’étaient pas des royalistes de la veille. Ils se rattachaient à l’ordre de choses issu de la Révolution. Ils faisaient volontiers commerce avec le libéralisme des Royer-Collard, des Broglie, des Guizot, des Barante. Les ultras, les pointus, les fidèles, retour d’émigration, les tenaient et ne pouvaient pas ne pas les tenir pour des ennemis du trône et de l’autel. On peut dire sans trop d’exagération que ce fut la Monarchie sans les monarchistes : ce fut aussi l’âge d’or de la Restauration.

Pareillement, la République sans les républicains, de 1873 à 1878, fut une ère de progrès moral et de croissance pour le nouveau régime. Entre les mains, sous le regard jaloux de tuteurs qui s’appelaient Broglie, Buffet, Decazes, voire Mac-Mahon, qui n’étaient républicains ni de la veille ni du lendemain, et qui, en tout bien tout honneur, eussent aimé à rendre la France à ses rois et ses rois à la France, la République grandit, se fortifia, devint maîtresse chez elle. Elle ne devait connaître les vraies difficultés et les périls réels que du jour où, son principe étant mis au-dessus de toute atteinte et son personnel dans la place, elle eut un gouvernement qui commença de gouverner par et pour son parti.