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marquis de Salisbury au Guildhall, il a dû éprouver des sentimens assez divers. D’abord, une grande satisfaction. S’il avait, en effet, exprimé déjà quelques réserves au sujet de la proposition du gouvernement anglais, celui-ci n’en avait ressenti aucune contrariété. Loin de là, lord Salisbury déclarait très baut qu’il ne voyait rien dans l’attitude de la France qui fût de nature à empêcher le concert européen de se produire ou de se maintenir. Mais il est un autre sentiment que M. Hanotaux a éprouvé aussi, et sur lequel nous ne raisonnons plus par hypothèse, car le Livre Bleu anglais en fait foi. Notre ministre des Affaires étrangères a été un peu étonné comme tout le monde du ton extrêmement adouci avec lequel lord Salisbury parlait de l’Empire ottoman et du sultan. Sans doute il avait déjà dit l’année précédente que le sultan seul pouvait faire des réformes dans son empire, et il avait le droit de le rappeler ; mais, l’année précédente, il avait tenu ce langage avec l’accent de la menace et avec l’intention évidente d’écraser l’infortuné Abdul-Hamid sous le poids d’une responsabilité que les épaules les plus vaillantes n’auraient pas pu soutenir. Il prédisait des catastrophes ; il semblait disposer des vengeances du ciel et il en annonçait les prodromes. Incontestablement le discours de cette année provenait d’une inspiration différente, apaisée, tempérée, et M. Hanotaux en a manifesté sa surprise à M. Gosselin, chargé d’affaires d’Angleterre. Il n’y avait certes pas à regretter le ton d’autrefois, mais celui d’aujourd’hui était-il plus opportun au moment même où les négociations reprenaient, et où il s’agissait une fois de plus d’amener le sultan à composition ? Le contraste même entre les deux harangues n’était-il pas de nature à inspirer au sultan des doutes, ou du moins des illusions sur la fermeté de la politique anglaise et sur la fixité des sentimens dont elle s’inspirait ? « M. Hanotaux, raconte le chargé d’affaires anglais, me dit qu’il espérait bien que je ne m’étais pas mépris sur le sens de sa remarque ; il savait bien que le gouvernement de la Reine réprouvait les atrocités dont l’empire turc avait été le théâtre ; mais il avait encore dans la mémoire le langage plus sévère employé par Votre Seigneurie au banquet du Guildhall de l’année précédente, et il voulait simplement exprimer la crainte que le ton plus modéré du nouveau discours n’induisît le sultan à penser que l’Angleterre n’était plus aussi impressionnée qu’auparavant par les abominations qui avaient déshonoré l’administration ottomane pendant les derniers dix-huit mois. » Ainsi les rôles étaient en quelque sorte renversés entre le ministre anglais et le nôtre, et c’était le second qui exhortait le premier à se montrer plus énergique. Peut-être lord Salis-