Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos romantiques sont dans les romantiques anglais et allemands, comme ceux-ci sont dans Jean-Jacques Rousseau; et ainsi de suite... Montrer que les idées d’Ibsen étaient déjà, avant lui, « quelque part », ce n’était pas difficile et ce n’était pas original, mais c’était peut-être opportun lorsque j’en fis la modeste entreprise. Que d’ailleurs le vieux solitaire de Bergen n’ait jamais lu une page de George Sand et qu’il ait peu et dédaigneusement pratiqué Dumas fils, là n’est pas la question, et M. Brandes lui-même le reconnaît. Il reste que le théâtre d’Ibsen est tout rempli d’idées fort analogues à celles qui furent abondamment exprimées chez nous entre 1828 et 18[[et dont quelques-unes l’ont encore été par delà, mais que nous avions laissées tomber en désuétude quand la Norvège nous les renvoya rajeunies. Il faut considérer en outre que l’article où je disais mon impression là-dessus était un article de polémique, — comme est aussi la réplique de M. Brandes. Et je rappelle enfin que, après les ressemblances, je notais avec soin les différences. Je disais que ce qui nous plaît, au bout du compte, dans les œuvres norvégiennes, c’est l’ « accent », l’accent nouveau d’idées, de sentimens et d’imaginations qui ne nous étaient point inconnus ; que l’individualisme romantique était plus révolutionnaire, plus humanitaire, plus oratoire, plus tourné aux réformes sociales; que l’individualisme des fiords était plus méditatif, plus préoccupé de perfectionnement, de liberté et de beauté intérieurs, que cela s’expliquait par le climat, par les habitudes que le protestantisme donne à l’esprit... et autres vérités communes, mais parfois bonnes à redire.

Je croyais pourtant avoir montré assez de zèle pour la gloire de M. Ibsen. Non seulement j’ai parlé des Revenans, de Maison de Poupée, de Rosmersholm, de manière à bien faire entendre que je regardais ces pièces comme égales, dans leur genre, aux plus belles œuvres du théâtre contemporain : mais j’ai pâli sur les symboles du Canard sauvage; j’ai, sur les planches d’un théâtre, « annoncé » Hedda Gabier, et j’ai donné de Solness une interprétation qui se tient! Si, depuis, j’ai osé quelques critiques, ou si j’ai insinué que quelque chose existait peut-être avant Ibsen, ou si j’ai dit tout haut que ni ses premières pièces ni ses dernières ne valaient Norah ou les Revenans, ce n’est point que mon amour pour ce grand poète ait décru; mais c’est que l’impertinence et l’intolérance de certaines admirations finissent par causer quelque agacement aux honnêtes esprits.

Je ne sais plus qui écrivait naguère je ne sais plus où que « Wagner, Tolstoï, Ibsen, voilà les trois génies du siècle. » Pour être sûr de cela, il y faudrait bien des conditions, dont je ne retiendrai qu’une : il faudrait