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Lawrence, un Clive, qui, moins grands politiques que Dupleix, commençaient à s’instruire à son école et avaient sur lui l’avantage d’exécuter eux-mêmes leurs desseins, de commander en personne leurs expéditions. « S’ils n’avaient pas été supérieurs aux officiers français qu’ils avaient en tête, dit le colonel Malleson, Dupleix aurait sûrement gagné la partie. Il l’emportait sur eux par sa connaissance du caractère hindou, par l’ascendant qu’il exerçait sur les indigènes et par la profondeur de ses combinaisons. Mais s’il pouvait arrêter un plan de campagne, enseigner à ses lieutenans ce qu’ils devaient faire, il ne pouvait le faire lui-même en affrontant avec eux une grêle de balles et la musique du canon. » Il ne le savait que trop ; il se plaignait amèrement d’être à la merci d’officiers braves, mais d’esprit borné ou de volonté molle, qui par leurs fautes compromettaient ses succès ou traversaient ses entreprises. « Je n’ai pas un homme de tête, s’écriait-il un jour, pour conduire la moindre opération. » La Compagnie le servait si mal ! On lui envoyait des incapables, qui n’avaient aucune autorité sur leurs hommes, et leurs hommes ne valaient pas cher. Ce n’était souvent, disait-il, « qu’un ramassis de la plus vile canaille. »

Si mauvais que fût l’outil, le grand ouvrier s’en servait de son mieux ; avait-il du malheur, il réparait ses défaites par sa constance et sa diplomatie. Quand les Anglais, alliés à Mehemet-Ali-Kan, aux Mahrattes, au Maïssour, l’eurent réduit pour quelque temps aux dernières extrémités, quand il ne lui restait plus que vingt hommes à mettre en campagne, quand la terreur régnait autour de lui et qu’on l’adjurait de renoncer à tout, de faire la paix à tout prix, il ne s’abandonna pas un instant. — « Quels alliés trouverez-vous ? lui demandait-on. — Le premier, le plus fort, répondait-il, c’est la discorde qui va éclater dans le camp ennemi. Je connais les Hindous, et je suis sûr que le dissolvant le plus certain de leurs coalitions, c’est la notoire. Voilà mon plus redoutable moyen de défense... Maintenant qu’ils ont le succès, toutes les rivalités, toutes les convoitises vont s’étaler au grand jour. Le Maïssour a des appétits énormes; il va vouloir les assouvir. Le Mahratte, jaloux par nature, se cabrera à la pensée qu’il édifie de ses mains un royaume pour autrui. Donc des chocs furieux chez ces amis d’hier et en face de moi, qui les guette pour enflammer ces haines et profiter de ces divisions. » Il enflamma ces haines, il profita de ces divisions, et quand on le rappela, les affaires des Anglais étaient fort mal en point. La puissance de son caractère égalait son génie, et à la longue le caractère et l’indomptable espérance gouvernent la fortune. C’est encore une de ces choses que ne comprennent