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de broussailles. » Mais, outre qu’il est difficile de connaître au juste l’emplacement du Calvaire, j’imagine que la forte impression du vieillard lui sera venue surtout de voir, dans les dessins de son fils, plus d’émotion et de piété que dans les tableaux qu’il connaissait jusque-là.

M. Tissot n’a pas rectifié notre conception de la vie du Christ, telle que nous l’ont faite les peintres anciens. Il l’a seulement ravivée en nous, à force de talent et de sincérité. Loin de contredire les vieux maîtres, il a repris leur œuvre sainte, tombée depuis cent ans entre des mains profanes. Et, sous la diversité des détails extérieurs, son intention et la leur sont si proches parentes qu’il en est résulté souvent des ressemblances imprévues, jusque dans la façon de comprendre et de traiter les sujets. Il y a telle Annonciation de Gaddi, à Sienne, où la Vierge et l’Ange ont la même attitude, et presque la même figure, que dans l’Annonciation du peintre français. L’Adoration des bergers de Rembrandt, au musée de Munich, et plus encore un dessin qui en est l’esquisse, le Jésus guérissant les malades et le sublime Lazare, ont un caractère à la fois si juif et si chrétien qu’on pourrait les reproduire, à titre de variantes, en regard des mêmes scènes de M. Tissot. Et l’on n’en finirait pas, à vouloir épuiser ces comparaisons. Ici c’est un peintre flamand, là un Français, ailleurs un Vénitien ou un Allemand qui ont donné au récit évangélique une expression approchante. M. Tissot, certainement, n’a pu les imiter : il y en a même peut-être qu’il ne connaît pas. Mais ils se sont rencontrés parce que tous ils allaient vers un but commun. Tous, comme lui, cherchaient « la vérité dans la vie du Christ » ; les uns, afin de la mieux trouver, allaient à Rome, d’autres, comme lui, en Palestine, d’autres restaient dans l’endroit où ils étaient nés : mais tous ils ne la cherchaient qu’au fond de leurs cœurs.

C’est dans son cœur que l’a cherchée et trouvée celui de tous les peintres qui, aujourd’hui encore, nous en offre l’image la plus magnifique : un humble moine toscan, le plus ignorant des hommes et le plus naïf. Celui-là n’est pas allé à Jérusalem; il n’a guère vu le monde, et ce qu’il en a vu ne parait pas même l’avoir un instant distrait des bienheureuses visions qu’il portait en lui. Ce n’était pas même un grand peintre, et les critiques n’hésitent pas à lui préférer son contemporain Masaccio, pour la science du dessin et la maîtrise des couleurs. Et cependant il n’y a point d’âme un peu religieuse qui, devant ses fresques du