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plupart des tableaux anciens. La Présentation a pour cadre le Parvis des Femmes, et non pas l’intérieur du Temple, où Marie, comme l’on sait, n’aurait pu être admise. Les Mages, pour venir à Bethléem, traversent les collines des frontières de Judée. Quand le diable, ayant pris Jésus de sa forte main, le transporte au faîte du Temple afin de le tenter, c’est le vrai Temple de Jérusalem qu’il lui désigne à ses pieds, tel du moins qu’on a quelques raisons de supposer qu’il était. Dans la Pêche miraculeuse, saint Pierre et ses compagnons retirent du lac les mêmes poissons qu’en retirent, aujourd’hui encore, les pêcheurs de Tibériade. Lazare, dans son tombeau, a le front bandé comme les cadavres juifs ; et dans les Noces de Cana tout, au miracle près, se passe exactement comme dans les Noces juives peintes en Algérie par nos orientalistes.

Ce sont là des indications excellentes et précieuses, en dehors même des belles peintures dont elles ont fourni le prétexte à M. Tissot. Mais elles ne portent, en somme, que sur des détails accessoires; et pour le fond, pour la conception des sujets et leur expression, M. Tissot ressemble bien plus qu’il ne le croit aux peintres anciens. Il nous raconte tout comme eux, non pas une histoire ou une légende, mais un grand miracle mystérieux et sublime. Le surnaturel, chez lui, s’entoure d’un appareil extérieur plus particulièrement oriental : mais c’est lui qui domine, et toutes les considérations de temps et de lieu s’effacent, ainsi qu’il convient, devant lui. Ou si parfois nous jugeons qu’elles ne s’effacent pas assez, si par exemple dans les Noces de Cana, dans la Pêche miraculeuse, dans la Transfiguration, dans la Résurrection de la fille de Jaïre, la précision du décor donne à la scène un aspect trop naturel, c’est au détriment de notre émotion et de la valeur des peintures. Aussi bien ces quelques scènes sont-elles à beaucoup près celles que nous aimons le moins, dans l’admirable ouvrage de M. Tissot. Nous n’y sentons pas, autant que nous aurions voulu, le miracle ; la nature n’y chante pas la présence d’un Dieu.

Elle la chante, au contraire, dans l’œuvre des peintres anciens, malgré l’inexactitude du détail et ces fâcheux dédains de la vraisemblance. La Pêche miraculeuse de Rubens et la Transfiguration de Raphaël sont loin assurément d’être des visions mystiques ; mais de leur beauté même se dégage pour nous une certaine impression de surnaturel ; et, au risque d’avoir « l’imagination