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personnel et plus vivant, tel que sans doute il était aujourd’hui impossible à un peintre de le figurer.


Et cela ne vient pas, comme le pense M. Tissot, de ce que « le monde chrétien a eu depuis longtemps l’imagination faussée par les fantaisies des peintres. » A supposer même, comme il nous l’affirme, que « toutes les écoles aient travaillé plus ou moins consciemment à égarer l’esprit public », elles ne sont pour rien dans la crise morale que nous traversons. Les vieux peintres avaient beau négliger la vérité historique, la couleur locale, et jusqu’aux vraisemblances les plus élémentaires, ils avaient beau placer la Passion du Christ sur les bords de la Seine, ou faire de la Vierge une petite paysanne du duché de Mantoue, leurs peintures donnaient aux âmes de leur temps une illusion plus profonde que ne pourrait faire aujourd’hui la reconstitution artistique la plus fidèle et la plus savante. Moins vrai certainement que celui de M. Tissot, le Christ de Giotto et de Maître Guillaume a réveillé dans plus de cœurs l’émotion mystique, Mais avec l’âge est venue la méfiance; Renan et les autres exégètes nous ont accoutumés à ne pas séparer la vérité historique, dans la vie de Jésus, d’une certaine négation de sa divinité; et Jésus nous apparaîtrait en personne, le front couronné d’épines et la plaie au flanc, que nous hésiterions à le reconnaître.

Encore faudrait-il s’entendre sur la façon dont les peintres anciens ont « travaillé à égarer l’esprit public », pour « fausser » sa conception de la vie du Christ. Et l’occasion serait bonne, à ce propos, de comparer l’image que nous présente M. Tissot des principaux événemens de cette vie avec celle que nous en ont offerte ses prédécesseurs, depuis les trecentistes jusqu’à Tiepolo, qui fut, il faut bien l’avouer, le dernier grand peintre de l’histoire de Jésus. Mais, outre qu’une telle comparaison exigerait un développement que nous ne pouvons songer à lui donner ici, il en résulterait pour l’œuvre de M. Tissot un préjudice trop immérité. Car les scènes du récit évangélique qu’il a peintes avec le plus d’exactitude, et le plus de charme, sont celles précisément que personne avant lui n’avait songé à peindre : ce sont toutes les scènes de la vie au jour le jour du Christ sur les collines de Galilée, au bord de ce lac qui a été vraiment, suivant l’expression de M. Loti, la « patrie sacrée » de la foi nouvelle. Ces scènes étaient trop familières, d’un caractère aussi trop essentiellement