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pour que l’image qu’ils en offraient parût plus réelle, et pour qu’on en reçût mieux l’impression profonde. Ils voulaient en quelque sorte rendre plus concrets les récits des évangélistes. C’était l’histoire, et non pas le symbole, qui les occupait; tandis que c’est du symbole que s’occupaient uniquement nos néo-chrétiens. En nous présentant Jésus dans notre milieu d’à présent, en le dépouillant des attributs traditionnels que lui avaient laissés encore les Flandrin et les Signol, ces messieurs nous donnaient à entendre que Jésus n’était pas pour eux une personne véritable, ayant vécu dans des conditions déterminées de temps et de lieu, mais simplement l’incarnation d’une doctrine morale, quelque chose comme un type abstrait de parfaite bonté.


C’était un christianisme nouveau qu’ils nous recommandaient, sans que la plupart d’ailleurs semblent s’en être aperçus : un christianisme « d’esprit et de vérité », infiniment supérieur déjà, sous le double point de vue idéal et pratique, au morne positivisme des générations précédentes. Ils nous invitaient à adorer en Jésus « l’éternelle loi de la vie », négligeant ce qu’il y avait eu en lui de personnel et de périssable. Et peut-être nous serions-nous résignés plus aisément à ce nouveau christianisme, s’il n’avait réveillé dans nos cœurs le souvenir de l’ancien, si aimable et si doux, qui, en outre de la « loi de la vie », nous avait offert tant d’espoirs bienfaisans, tant de chères croyances et tant de beaux rêves. C’était de lui que nos cœurs avaient soif; et tous les efforts des néo-chrétiens n’aboutirent qu’à raviver en nous le cruel regret de l’avoir perdu.

Devant le philosophe sublime dont le comte Tolstoï nous exposait la doctrine, devant le solennel et impassible héros des tableaux de nos peintres, nous songions avec attendrissement à l’autre Jésus, à celui de l’Evangile et de la Tradition, à celui qui avait été pour nos pères un si bon et fidèle ami, jusqu’au jour où, las de l’aimer, nous l’avions renvoyé vers ses collines natales. Celui-là seul pouvait nous rendre le repos, et non pas ce Dieu abstrait qu’on nous présentait sous son nom ! Mais en vain nous l’appelions : la distance était trop grande que nous avions mise entre lui et nous. On nous avait trop accoutumés à ne pas croire en lui. Trop de lectures et de réflexions inutiles avaient troublé en nous cette « pureté de cœur » dont il disait lui-même qu’elle était nécessaire pour qu’on pût « voir Dieu ». Nous l’appelions, et à sa