Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tour de rôle dans le jeu des forces industrielles ; elles se complètent, se balancent et se limitent l’une l’autre. Loin de s’exclure, elles s’appellent nécessairement et ne peuvent s’isoler qu’en théorie : ce sont deux élémens irréductibles et inséparables d’un organisme toujours en travail. — Nous vivons aujourd’hui à une époque où le régime de la concurrence, ayant porté tous ses fruits, semble devoir céder pour un temps la place au régime de l’association, seul capable de satisfaire aux exigences croissantes du consommateur, et de produire plus, mieux "et moins cher : laissons l’évolution s’accomplir, elle est normale et fatale. Elle a ses dangers très graves, qu’on ne doit pas se dissimuler, et qu’il faut éviter ; nous les avons vus en Amérique dans toute leur puissance. En Europe, où l’on trouve quelques signes d’une transformation analogue, le mouvement ne se propagera sans doute jamais aussi loin, et ne pénétrera jamais aussi profondément qu’aux États-Unis ; la concurrence y agit en effet avec moins d’âpreté et plus de régularité, elle n’appelle pas un remède aussi énergique. De ce côté-ci de l’Atlantique, la lutte entre les deux principes directeurs de l’activité humaine est à peine ouverte ; le problème industriel n’est encore que posé, et déjà tout porte à croire qu’il ne sera ni aussi pressant ni aussi aigu.

Pourtant, même en Europe, la gravité de ce problème ne doit pas être méconnue, et si les tendances centralisatrices de l’industrie moderne ne se présentent pas chez nous avec la même violence qu’en Amérique, on ne saurait manquer pourtant d’y voir un document caractéristique et un présage pour notre avenir social. Dès à présent, en Allemagne, comme aux États-Unis, le parti socialiste ne se cache pas de regarder avec une certaine faveur le développement des grands monopoles. Si l’on en croit ses théoriciens, les syndicats de production, en creusant le précipice entre les riches qu’ils rendent plus riches, et les pauvres qu’ils font plus pauvres, hâtent la ruine du régime individualiste. Le monopole industriel, n’est-ce pas presque l’État déjà, l’État spécial et limité à l’une des branches de l’activité sociale ? Bientôt, dit-on, de nos petits syndicats locaux, étendus et multipliés, le passage sera facile au grand syndicat unique et commun, à la société collective dont la présente évolution industrielle contribue à précipiter l’avènement.

Nierons-nous, à la vérité, que l’un des premiers effets, l’un des résultats temporaires du régime grandissant de la centralisation