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sous silence l’usage constant et presque normal que les syndicats industriels ont fait jusqu’à présent aux Etats-Unis de cette arme dégradante, la corruption politique. Combien ce vice originel et irrémédiable a nui à leur carrière, l’ostracisme dont ils sont frappés depuis cinq ou six ans, l’impopularité dont ils souffriront longtemps encore, suffiraient à le démontrer. N’y ont-ils cherché qu’un moyen de défense contre les attaques souvent injustes et toujours violentes dont ils étaient accablés? ils le prétendent? toujours est-il que tous, plus ou moins, ont acheté des votes aux assemblées législatives, des services aux cours judiciaires, des faveurs aux administrations civiles, et que le gouvernement fédéral n’a guère été moins en butte que les autorités locales à leurs revendications d’autant plus impérieuses qu’elles étaient appuyées d’argumens moins désintéressés. Au Congrès de Washington, on voit les agens de presque tous les syndicats industriels ; un représentant dans le cabinet est un luxe plus rare, une fantaisie de parvenu que s’est offerte parfois une entreprise puissante comme le Standard oil trust; on sait la pression qu’a exercée le syndicat du sucre sur le Sénat en 1894, lors de la discussion du tarif des douanes. Notez que l’exercice de ce commerce politique, dans lequel les Américains reconnaissent avec leur naïve impudeur une nécessité regrettable du régime présent, n’est pas limité à la catégorie des financiers de l’ordre « criminel », tels que ce roi des chemins de fer que quelqu’un montrait un jour dans une rue de New-York, en s’écriant étonné : « Oh! X... qui se promène avec les mains dans ses poches! » Un homme comme H. O. Havemeyer se vante d’avoir donné des « contributions » à la fois aux caisses du parti républicain et à celles du parti démocrate : « L’American sugar refining Company, dit-il, ne fait pas de politique, elle n’a que celle des affaires. » C’est en effet cette dernière qui lui permettait de gagner vingt millions de dollars en trois ans, moyennant une commission de 1 pour 100 allouée aux intermédiaires qui lui assuraient la faveur du tarif douanier. Lorsqu’on mai 1894, une Convention se réunit à Albany pour réviser la constitution de l’Etat de New-York, le même syndicat du sucre fit tout de suite nommer à la présidence un de ses avocats-conseils. Enfin la Cour suprême n’a pas elle-même toujours échappé, dit-on, au pouvoir d’attraction exercé par les grandes compagnies. — On n’excuse pas celles-ci en disant que la responsabilité de cette corruption remonte pour une grande part