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impossible, ils liquident, puis émigrent, sûrs de trouver un gîte dans un autre État, auquel ils apportent par la voie de l’impôt d’assez gros bénéfices : c’est ainsi que le New-Jersey, le plus hospitalier de tous les États de l’Union, profite aujourd’hui de leurs préférences communes. — Enfin le 2 juillet 1890, sur la proposition du sénateur Sherman, le Congrès américain rend lui-même, « pour protéger l’industrie contre les monopoles et les tentatives d’oppression », un bill qui prohibe dans le commerce entre États toute combinaison destinée à restreindre la concurrence, en appuyant cette interdiction d’une amende de 5 000 dollars. Aussitôt, tous les trusts proprement dits, c’est-à-dire constitués par le dépôt d’actions aux mains d’un syndicat, se transforment en sociétés anonymes pour échapper aux poursuites : on achète une « charte », on promulgue des statuts, on nomme administrateurs les anciens trustees; d’ailleurs il n’y a rien de changé dans l’exploitation de l’entreprise, qui trouve dans cette légitimation même une force de résistance nouvelle contre la loi. De l’aveu de l’avocat général des États-Unis, l’acte du 2 juillet 1890 s’est montré inutile, car on le tourne; inconstitutionnel, — il excède en effet les droits du Congrès ; — dangereux enfin, puisqu’on a pu l’appliquer aux associations ouvrières et menacer de dissoudre en son nom l’union des mécaniciens de chemins de fer. Sept années de persécutions législatives et judiciaires n’ont donné en Amérique qu’un résultat, c’est de jeter un peu plus de lumière sur le fonctionnement des syndicats qu’on oblige à se soumettre au régime des compagnies par actions : ce qui ne veut pas dire que le pays soit aujourd’hui beaucoup mieux renseigné qu’avant sur leurs spéculations et leurs agissemens secrets. « 

C’est là un médiocre succès, et on peut se demander si les pouvoirs publics américains n’auraient pas été mieux inspirés en cherchant une autre voie pour réprimer les abus. Un fait frappera tout le monde : c’est que les États-Unis, véritable patrie des trusts, sont actuellement le pays du monde le mieux protégé par les barrières de douane. Or, de toute évidence, en développant la fièvre de la surproduction, contre laquelle il n’y a qu’un remède, l’association, le protectionnisme engendre nécessairement le monopole ; un marché fermé est la terre sainte des grands syndicats industriels. Revenir à un régime douanier plus normal et moins isolant, voilà donc en Amérique la première condition pour restreindre l’influence de l’association, et rendre à la concurrence son