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à les passer sous silence : que les syndicats aient fait par momens des prix d’accaparement et ralenti même en temps normal le mouvement de baisse des cours, qu’ils aient mené une campagne offensive là où ils n’auraient dû jouer qu’un rôle de protection, cela ne peut être contesté. Ce sont là des folies de jeunesse, des fautes graves sans doute, mais trop fréquentes à certaines époques de la vie des institutions comme de celle des hommes, pour n’être pas pardonnables une fois qu’elles ont eu leur terme. Il faut seulement y mettre fin, il faut protéger la société contre les excès présens du régime de la centralisation industrielle.


IV

C’est en 1887 que l’opinion commença à s’émouvoir de ces abus, en Amérique, et que le problème des monopoles se posa devant le pays dans toute son acuité. Deux grands journaux, le Times de New-York et la Tribune de Chicago, se font cette année-là, les premiers dans la presse périodique, l’organe des revendications populaires contre les trusts; et, dès l’hiver suivant des enquêtes sont votées en même temps par le Congrès de Washington et le sénat de l’Etat de New-York. Tandis que le parti républicain paraît s’entendre avec les grands syndicats, que Blaine déclare voir dans les monopoles industriels « des affaires d’ordre purement privé », les démocrates au contraire font de la lutte contre les monopoles leur plate-forme pour l’élection présidentielle en 1888. Dans bon nombre d’Etats, on poursuit les trusts devant la justice d’après les principes de la loi commune anglo-saxonne sur la liberté du commerce. De 1889 à 1892, les législatures de dix-huit États de l’Union votent contre eux des lois de proscription, interdisant toute tentative de monopole, annulant de droit toute convention passée en vue de restreindre la production ou de fixer des prix de vente : lois draconiennes, armées de clauses pénales d’une rigueur inouïe, et sous le coup desquelles pouvaient tomber, au même titre que les syndicats, les ententes les plus simples du commerce journalier. C’est le Texas et le Missouri qui commencent; pour gagner du temps, les syndicats défèrent en appel de cour en cour les lois qui les frappent, ils rivalisent de ruse diplomatique avec les pouvoirs locaux, paient leurs hommes de loi plus cher qu’eux et réussissent presque toujours à se tenir debout. Là où la vie leur devient