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s’abaisser le prix des denrées et s’élever les salaires? La productivité du travail s’est-elle accrue en même temps que diminuait le coût de la vie? Telles sont les questions que nous avons à examiner maintenant.

On ne peut nier qu’au premier abord l’apparence ne soit assez défavorable à l’organisation nouvelle de l’industrie. Les trusts font la loi à l’ouvrier et au consommateur : voilà l’accusation qu’on entend journellement porter contre eux. Ils oppriment le pays aux deux extrémités de l’échelle sociale. Maîtres du marché des produits et de la main-d’œuvre, ils exercent sur les prix et les salaires une autorité toute-puissante : ils en abusent, ils font l’usure. Corporations have no souls, dit un proverbe américain : ils n’ont pas d’âme.

Voyons ce qu’il y a de vrai dans cette thèse, et recherchons en pratique s’il y a abus et où il y a eu abus. Tout d’abord, on peut soulever une question préalable, et se demander si les syndicats sont réellement investis sur le marché d’un pouvoir arbitraire dans la fixation du prix des choses. Oui, certes, au cas où leur monopole est absolu et toute concurrence impossible. Mais ce monopole n’est jamais qu’un fait, non pas un droit, une possibilité, non une nécessité; légalement la concurrence n’est pas exclue, elle peut subsister. — A la vérité, ce n’est plus ici la même concurrence qu’autrefois; elle a changé d’armes et de champ de bataille, et, comme l’industrie même dont elle est, suivant un vieux dicton anglais, l’essence et la vie, elle s’est centralisée. C’est entre industries différentes et dépendantes, ou entre industries voisines et parallèles, qu’elle s’exerce aujourd’hui, plutôt qu’entre établissemens rivaux dans une même industrie; d’interne et locale qu’elle était, elle est devenue générale et externe, et dans chaque branche de production, la guerre civile a fait place à la guerre étrangère. Ainsi le jute rivalise avec le coton, le pétrole avec le gaz d’éclairage ; ainsi les minotiers s’unissent contre les fermiers coalisés, les fabricans de viande contre les éleveurs, les métallurgistes contre les propriétaires de mines : c’est la guerre entre trusts, et aux syndicats de production s’opposent maintenant les syndicats de consommateurs. — Est-il vrai d’autre part qu’un trust détruise dans son domaine toute espèce de concurrence entre établissemens du même ordre? Le premier but de ces coalitions de gros fabricans est évidemment de ruiner la concurrence des petits, non pas en les anéantissant, mais en les absorbant,