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Son champ d’application est aujourd’hui très large en matière de successions et de legs, de constitutions de dot, de tutelle, d’institutions charitables, et son usage se voit d’autant plus apprécié que, relevant non de la « loi commune » rigide et brutale, mais de l’ « équité », il ressortit à des juridictions particulières, la cour de Chancellerie en Grande-Bretagne, les cours de district aux États-Unis. — Comment le terme de trust est-il arrivé à désigner particulièrement aujourd’hui les grands syndicats industriels en Amérique? C’est que ces trusts — nous rendons maintenant à ce mot son sens spécial et économique — se constituaient originairement par la remise à un conseil de trustees des actions de tous les établisse mens associés dans une branche d’industrie.

Le trust représente aux Etats-Unis le dernier terme du mouvement de la concentration économique, le type le plus perfectionné du monopole industriel, la plus puissante expression du régime de l’association. On peut le définir l’union intime et indissoluble des entreprises rivales dans une industrie donnée, par la fusion de leur propriété même, c’est-à-dire de leur capital, en vue de leur fonctionnement en commun sous une autorité unique et absolue. Son but essentiel comme son trait caractéristique est de mettre un terme à la concurrence et d’établir un monopole de fait : limiter strictement la production aux besoins du marché, fixer un prix de vente général et rémunérateur, réduire le coût moyen de fabrication, voilà ses résultats immédiats et pratiques. C’est là ce que faisaient déjà spontanément les gildes du moyen âge, dans une proportion restreinte et par des moyens primitifs : l’idée a été reprise, élargie et mise à exécution d’une façon supérieure et consciente. Distinguons immédiatement de ces grands syndicats industriels, stables et définitifs, les manœuvres de bourse exécutées de temps à autre par des financiers coalisés pour l’accaparement momentané d’un produit, les corners, comme les désigne l’argot américain, dont le succès devient de jour en jour plus difficile avec l’élargissement des marchés et l’extensibilité croissante des stocks. Il y a entre ces deux ordres d’opérations une différence fondamentale. Les spéculations de bourse sont des actes de violence, des raids financiers, qui arrêtent brusquement les affaires et visent à l’oppression du public ; les syndicats américains représentent une forme d’industrie, une modalité du régime de la production, et se proposent pour objet de régulariser le marché. Temporaire ou permanent, c’est bien le monopole qui