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seul peut analyser l’enthousiasme. L’admiration seule peut rendre compte des phénomènes de l’admiration. Ne craignons pas l’accusation de sckwärmerei et laissons les ironistes à leurs besognes stériles ! S’ils entreprennent avec leur sens calme et rassis d’analyser les impressions de beauté, ce sont des gens qui, gravement, se mettent à refroidir les objets sur lesquels ils prétendent étudier l’action de la chaleur. Loin d’éclaircir ou d’affiner la faculté de l’esthéticien, l’esprit critique la fausse, l’expérience l’émousse, la science la perd. « S’il nous était possible de nous rappeler tous les instincts heureux et inexplicables du temps insoucieux de notre enfance, nous arriverions à des résultats plus rapides et plus exacts que ceux que soit la philosophie, soit la pratique sophistiquée des arts ont atteints jusqu’ici. » Ceux-là seuls qui ont gardé leur fraîcheur d’impression pénétreront jusqu’au fond la fraîcheur des teintes cristallines. Le monde de la Beauté est comme le béryl dans la Ballade de Rossetti :


None sees here but the pure alone


et, en vérité, si vous ne vous faites pas semblables aux petits enfans, vous n’entrerez pas dans l’Esthétique des cieux...

Mais parce qu’elle nous rapproche des esprits simples et ne relève pas de la raison raisonnante, n’allons pas la nier, cette faculté, et surtout n’allons pas la dédaigner! Car nous dédaignerions le plus beau de tous les dons que nous firent les bonnes fées qui se penchèrent sur le berceau vagissant de l’humanité! Cette faculté esthétique, c’est la faculté humaine par excellence. Si devant l’utilité l’animal délibère, nous ne pouvons affirmer que non, mais devant la beauté l’homme seul tremble, s’émeut. « Ce qu’il peut y avoir en nous de la nature du bœuf ou du porc ne perçoit aucune beauté ni n’en crée aucune. Ce qui est humain en nous peut le créer et le rendre en exacte proportion avec la perfectibilité de son humanité ». L’animal voit, cela est incontestable et jusqu’à un certain point, il raisonne : l’homme contemple. La vache de Potter se mire : l’homme admire. « C’est la faculté humaine, superlativement humaine, qui nous fait aimer des rochers non pour nous, mais pour eux-mêmes », pour leurs lignes sur le ciel bleu profilées. Et s’il y a quelque différence fondamentale entre l’homme et tout ce qu’on dit lui être semblable, ne cherchez pas ailleurs. Si l’on vous dit : Voici une plante fine et svelte, aux courbes infiniment changeantes et aux tons mélodieusement