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d’une part, ni intellectuelle de l’autre, mais dépend d’un état du cœur pur, droit et ouvert à la fois pour sa vérité et pour son intensité, au point que même la justesse de l’action de l’intelligence sur des faits de beauté ainsi perçue dépend de l’acuité du sentiment du cœur qui s’y rapporte. » C’est le cœur, qui nous rend capables d’émotion haute et sereine devant les grands horizons de la Nature. La faculté qui y sert est donc une faculté du cœur : un sentiment.

C’est le sentiment esthétique. C’est lui qui nous fait vibrer aux heures les plus exquises de notre vie, aux seules heures dignes d’être vécues. C’est lui qui établit entre les choses et les êtres cette mystérieuse concordance qu’on demande vainement à la science d’analyser. Ne le confondons jamais avec aucune autre faculté, ni plus haute, ni plus basse. Tenons ferme pour son autonomie. Nous aurons contre nous les sensualistes purs et aussi les purs intellectuels. Nous aurons à lutter contre ceux qui voient dans ce sentiment un instinct physiologique et contre ceux qui y voient une opération de la raison. Ce n’est ni l’un ni l’autre. Le sentiment esthétique n’est pas l’aboutissement lointain et obscur d’un instinct sexuel : c’est lui-même un instinct. Cet instinct diffère de tout autre et la physiologie n’a rien à faire avec lui : on n’a jamais admiré une rose parce qu’elle ressemble à une femme, mais on admire une femme parce qu’elle ressemble à une rose. Ce n’est pas là non plus l’amour dans le sens supérieur de la donation de soi, car cet amour se donne, et dans le plaisir que nous prenons aux plantes, aux flots et aux rayons, nous recevons tout et nous ne donnons rien. C’est encore bien moins le produit d’un raisonnement. Dès qu’on raisonne, l’impression s’enfuit. Par exemple, « dans une plante, toutes les sensations de beauté naissent de notre sympathie non égoïste dans son bonheur, et non d’aucune vue des qualités en elle qui peuvent nous apporter du bien, ni même de notre reconnaissance en elle de quelque condition morale dépassant celle du simple bonheur. Du moment que nous commençons de considérer une créature comme subordonnée à cruel que dessein en dehors d’elle, quelque chose du sens de la beauté organique est perdu. Ainsi, lorsqu’on nous dit que les feuilles d’une plante sont occupées à décomposer de l’acide carbonique et à nous préparer de l’oxygène, nous commençons à la considérer avec quelque espèce d’indifférence, comme si c’était un gazomètre. C’est devenu jusqu’à un certain point une