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qu’ils nous laisseront tout à fait inconscient de leur particulier pouvoir, mais indestructibles par un raisonnement quelconque, et qui formeront par la suite une partie de notre constitution... » Pourquoi? Certes on explique Dieu des choses, dans nos écoles, mais explique-t-on la part que prennent à notre vie les formes et les couleurs? On analyse bien des propriétés des corps, — a-t-on seulement cherché à connaître la propriété par excellence, celle qui unit toutes choses en ce monde: le pouvoir d’attirance et de sympathie? Les raisonnemens de nos physiologues ou de nos psychologues sont fort ingénieux, mais ne s’appliqueraient-ils pas tout aussi bien aux choses qui nous entourent, quand elles n’auraient ni la ligne qui assouplit, ni la couleur qui exalte ! Est-ce qu’on se douterait, à lire les philosophes, que le monde, dont ils parlent en termes si abstrus, si gris, si froids, soit ce frémissement de feuillages, ce ruissellement de clartés, cette palpitation de chairs, ce battement de paupières, cette flamme de regards qui en font tout le prix ? On bâtit des systèmes qui expliquent tout du monde, — hors son charme. On analyse les coins les plus secrets de l’âme, — hors son admiration. On démêle tous les rapports que nous avons avec la Nature soi-disant inanimée, — hors l’amour...

Toutes ces choses, répondra peut-être un savant, ressortissent à diverses sciences qui en rendent compte partiellement ou bien ne ressortissent à aucune parce qu’elles ne sont susceptibles d’aucun examen scientifique, n’étant qu’impressions variables selon chaque individu et, dans tous les cas, réduites à de pures apparences ! — Des apparences, soit. Et croyez-vous qu’elles perdront, parce que vous les aurez affublées de ce nom, tout leur pouvoir sur l’homme et sur la vie? Croyez-vous que ce ne soit pas à des apparences que nous devions le plus de résolutions, ou le plus de faiblesse, et partant le plus de misère ou le plus de bonheur ? aux apparences de la gloire ? aux apparences de l’amour? Croyez-vous que ce ne soit pas aux apparences de l’héroïsme des anciens que nous devions nos véritables héros modernes, ni aux apparences de l’oasis, au mirage, que nous devions le plus de réconfort pour continuer notre route vers la réalité ? Les légendes sont-elles vraies et, si elles ne le sont pas, ont-elles exercé sur les faits mêmes de la vie moins d’influence que l’Histoire? Les religions sont-elles prouvées, — et n’est-ce pas aux apparences du ciel que nous devons la plupart des choses qui