Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I. — SUR LA NATURE

N’y aurait-il pas plus de choses esthétiques entre le ciel et la terre qu’on ne l’enseigne communément dans nos écoles de philosophie? Les hommes ne se laisseraient-ils pas souvent guider par des visions plutôt que par des raisons et seraient-ce les enfans seuls qui aiment à tourner les feuilles des livres d’images et qui oublient, en les tournant, les réalités de la vie? De cette vie, nous savons assurément déjà beaucoup de choses. Les chimistes prennent une plante, l’emportent dans leur laboratoire, la manipulent, l’analysent, la soumettent à de multiples épreuves et viennent nous dire de combien d’élémens elle se compose, de combien d’azote et de combien de chaux, et comment elle a germé, et pourquoi elle s’est développée. Soit; c’est très intéressant. Les économistes compulsent des bilans et des mercuriales, suivent du doigt les zigzags des graphiques, délient les cordons des livres de raison, des mémoires, secouent la poudre des chartriers ou des terriers et nous apprennent comment se développe la richesse d’un pays par l’échange, ou se fixe la valeur d’une denrée par l’utilité, et pourquoi une crise monétaire éclata tel jour. Soit. Il est bien vrai que tout cela est, mais est-ce là tout? Pourquoi, dirons-nous au chimiste, en ce soir d’hiver, ces roses posées sur le bord d’une cheminée, nous ont-elles fait trouver la solitude moins triste et le froid moins rigoureux? Elles ne parlent ni ne réchauffent pourtant... Pourquoi, dirons-nous à l’économiste, cette excroissance de coquille, qui ne peut remplir aucun but utile, a-t-elle une valeur marchande beaucoup plus considérable qu’un sac de blé qui peut nourrir un homme pendant un certain temps?... Et au physicien qui passe, nous demanderons pourquoi les sons de cette gamme mineure nous ont rendus tristes et pourquoi ce rayon de soleil nous a rendus joyeux? Pourquoi ce feu qui flambe dans l’âtre ne nous ranime-t-il pas comme ce rayon de soleil qui, tout à l’heure, flambait aux vitres? et pourquoi, plus loin, dans ce foyer artificiel où une mathématique flamme de gaz lèche d’inamovibles bûches en amiante, s’il y a encore autant de chaleur pour le thermomètre, y en a-t-il dorénavant si peu pour le cœur?

Sortons de cette ville où le ciel est caché par la fumée, la terre par le pavé de bois, où le feu ne consume que du gaz et où