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Les idées de Wronski sur cette bande mystérieuse et satanique, acharnée à la ruine de la civilisation, montrent, mieux qu’aucune autre singularité, le désordre de son esprit.

La société marche vers les abîmes, et la seule explication possible est l’effrayante découverte d’une perversion systématique exercée par quelque pouvoir invisible, qui nous a amenés logiquement à l’horrible substitution du mal au bien.

Cela paraît un mystère inconcevable ; mais le hideux désordre auquel nous sommes parvenus ne peut absolument avoir été opéré que par une perversion préméditée et systématique.

Chacun de ces hommes sent en lui-même sa mission, sans qu’on ait besoin de la lui enseigner ; chacun d’eux est reconnu par tous les autres, sans qu’il y ait besoin de communication antérieure, ni même d’aucuns signes artificiels ou naturels, tels que seraient par exemple un front aplati ou le regard pharisaïque. Aussi le secret de leur association mystérieuse est-il resté inviolable pour tous les autres hommes.

Wronski déplorait la division des esprits dans toute l’Europe en libéraux et illibéraux. Whigs ou tories, républicains ou royalistes, libérales ou serviles, en Angleterre, en France et en Espagne, sont les soldats des deux mêmes armées, celle du droit humain armé contre le droit divin. La lutte est déplorable, mais nécessaire, car la vérité n’étant pas encore découverte sur la terre, la discorde est inévitable et utile. Celui qui voudrait la faire cesser par l’anéantissement de l’un des partis serait criminel et insensé. Wronski a un autre plan. Il sait qu’une révélation trop hâtive perdrait tout, et il se chargerait, si d’invisibles ennemis ne cessaient de le persécuter, de démontrer mathématiquement, non I’absolu, ce serait trop grave, mais la réalité de l’absolu. Les fauteurs les plus outrés des deux doctrines sachant alors qu’il existe, mais que les hommes l’ignorent, deviendraient hésitans dans leurs convictions, et le fanatisme s’adoucirait. Wronski plane en dehors et au-dessus des partis ; mais en saluant les principes sacrés de la révolution française il déplore leur sanglante et fausse application, et penche vers les illibéraux, préférant, comme eux, et en toutes choses, la déduction à l’expérience.

Le but des partisans du droit humain est le vrai. Celui des partisans du droit divin est le bien.

Le vrai et le bien se neutralisent dans le sentiment du beau, qui devient ainsi une preuve de la réalité de Dieu.