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maître. Wronski eut un éclair de génie. Il adressa publiquement à Arson deux questions :

« Ce que je vous ai enseigné vaut-il les sommes déboursées et promises par vous ?

« Ce que je réclame m’est-il légitimement dû ?

« Répondez oui ou non. Si vous dites non, je vous rends vos billets en vous abandonnant à vos remords. »

Arson répondit oui et paya.

On plaignit Arson, on l’admira, en riant un peu ; et le public tout entier se souleva contre Wronski. Arson fort appauvri ne regrettait qu’une chose : il ignorait encore l’ABSOLU dont la réalité entrevue restait sa consolation et son refuge.

Wronski, dont l’imagination égarait souvent la mémoire, écrivait trente ans après : « L’existence de la vérité sur la terre fut révélée en 1818 par le fameux oui ou non, par lequel l’auteur de la réforme du savoir humain laissait à un riche disciple, nommé Arson, la faculté d’avouer ou de nier la valeur des vérités nouvelles pour lesquelles il s’était engagé à lui payer une somme de cent mille francs. Le disciple, qui d’abord fit un grand scandale, finit par prononcer formellement le oui, et par payer la somme qu’il devait, en déclarant que, par ce scandale, il avait voulu attirer sur les hautes vérités nouvelles l’attention du public pour l’éveiller de sa léthargie intellectuelle. » Dans un pamphlet publié en 1824, Wronski avait eu l’audace d’écrire :

« Wronski fut dépouillé de sa fortune par un infidèle dépositaire, le nommé Arson… »

En apprenant ces accusations, Mme Arson a pu s’écrier comme Dorine :

Un gueux, qui, quand il vint, n’avait pas de souliers,
Et dont l’habit entier valait bien six deniers !

Cela était vrai à la lettre. En se présentant chez Arson, Wronski portait des sabots ; il est odieux de le lui reprocher, mais il rend la tentation trop forte.

Wronski, glorieusement enrichi par le foudroyant oui ou non, dépensa sans compter, fit imprimer brochures sur brochures, commanda des instrumens astronomiques, fit fabriquer des modèles de machines qui se rouillèrent au grenier, vécut largement, et se vit de nouveau menacé de la misère. Il partit pour Londres réclamer les prix considérables promis par le Parlement aux sa-