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Les leçons furent reprises, puis interrompues brusquement par une lettre de Wronski, déclarant à son élève que les résultats qu’il lui communiquait, obtenus par de longs et pénibles travaux, valaient, même au taux commun, tout ce qu’il lui avait donné et offert ; il lui faisait comprendre, et ne tarda pas à lui déclarer, que s’il n’assurait pas son avenir, il se séparerait de lui. Arson, qui jamais n’avait refusé aucune de ses demandes, lui offrit une pension de cent louis, sans compter les frais d’impression de ses ouvrages. Wronski, indigné d’une telle mesquinerie, lui fit redemander la malle déposée chez lui, dans laquelle se trouvaient des papiers d’une valeur incalculable. Arson, ne pouvant se passer de l’aliment spirituel nécessaire à sa vie, lui assura 3 000 francs pendant cinq ans, et lui remit dix-sept billets de 4 000 francs chacun, payables d’année en année, jusqu’en 1830 ; il paya en outre les dettes de son maître, loua pour lui un appartement modeste, convenable pour un philosophe, et l’autorisa à le meubler. Wronski lui envoya une note de 10 000 francs. Mme Arson, très mécontente, on le devine, était retournée à Nice. Wronski, au lieu d’aller dîner chaque jour chez Arson, comme il en avait pris l’habitude, le conduisait au Palais-Royal, commandait un dîner chez Véry ou Véfour, alternativement, quelquefois chez les frères Provençaux, et Arson payait sans rien dire. Il faisait cependant de tristes réflexions; il se sentait entraîné vers sa ruine, et Wronski le traitait en véritable esclave. Wronski a expliqué ses motifs : « Si les bénéfices futurs l’engageaient (Arson devait toucher 6 pour 100 sur la vente des œuvres de Wronski), je devais le considérer comme un simple entrepreneur, et le traiter comme tel, pour ne pas compromettre la dignité du savoir; si c’était réellement le bien de l’humanité qui l’engageait, je ne pouvais le considérer que comme un disciple, auquel j’avais donné un bien infini, dont il me devait une obligation infinie. »

Arson s’échappa, retourna à Nice, et cessa d’envoyer de l’argent. Wronski, le traitant en associé infidèle, réclama le payement immédiat de tous les billets, et la restitution des dépôts que, d’après les reçus d’Arson, il avait faits chez lui en espèces sonnantes.

Arson voulut résister, un procès s’engagea.

Le dénouement est plus comique que celui de Molière. Orgon, je veux dire Arson, était, dès qu’il le voyait, fasciné par son