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mie ; déduit des vraies lois de la force et de la matière un système nouveau et parfait de machines à vapeur ; indiqué les lois véritables de la locomotion qui, si nous n’étions pas ignorans et barbares, auraient, depuis longtemps, et dès leur début, amené la suppression des chemins de fer ; réformé, enfin, le calcul des probabilités, et déduit de formules rigoureuses les moyens certains de maîtriser le hasard et de gagner à tous les jeux. Ces grandes découvertes — c’est la gloire de Wronski — sont déduites d’un principe qui les domine toutes, et dont les applications à la philosophie, à la politique et à la religion doivent résoudre le problème social, et, bien plus, celui de la vie future.

L’homme qui a fait cela, et dont la folie est douteuse, est un intéressant sujet d’études. Joseph-Marie Hoëné naquit près de Posen en l’année 1778. Son père était Allemand. Architecte habile, il fut appelé en Pologne pour construire un palais, il s’y maria, se fixa à Posen, où il eut cinq enfants ; Joseph-Marie, l’aîné, a rendu célèbre le nom de Wronski, que son père et ses sœurs n’ont jamais porté, et dont on ignore l’origine.

Le jeune Hoëné fut admis, à l’âge de treize ans, à l’école des cadets de Varsovie. À seize ans, il était officier d’artillerie dans l’armée insurrectionnelle commandée par Kosciusko. Pendant le siège de Varsovie, il pointa un obusier avec tant de bonheur, ou tant d’adresse, qu’il incendia un grenier à foin, voisin du magasin à poudre, dont l’explosion causa un grand désordre parmi les assiégeans. À cette occasion, une montre en or lui fut offerte par le général en chef. L’armée polonaise succomba sous des forces supérieures, russes et prussiennes ; Hoëné fut fait prisonnier, et préféra à la Sibérie le grade de major dans l’armée russe. Appelé à Saint-Pétersbourg, il désira entrer dans la marine et y renonça à cause de la faiblesse de sa santé. À l’âge de dix-huit ans, il était colonel et commandait un régiment à Wilna ; Wronski explique cet avancement rapide par l’amitié du maréchal Souvaroff. qui souvent se plaisait à causer avec lui.

Ayant appris que Dombrowski organisait à Nice une légion polonaise, incorporée à l’armée française, il donna sa démission, et partit pour s’y enrôler. En traversant l’Allemagne, il s’arrêta dans une université, probablement à Kônigsberg, et, tout en étudiant le droit public, avec le désir de devenir diplomate, il se uassionna pour la philosophie de Kant, et en adopta pour toujours le vocabulaire qui peut-être fut une des causes de sa renommée,