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pensée et d’agir d’une commune action ; nous qui avons vu ce spectacle, nous avons senti s’enlever d’un élan puissant l’âme vivante d’une grande nation.

« La nation espagnole lutte et luttera, a dit M. Cánovas en son nom ; elle n’est pas maîtresse des destinées de la guerre, qui sont toujours entre les mains de Dieu. Il décidera. Lui qui décide en dernier ressort des défaites comme des victoires. Mais n’avoir plus d’espérance, le peuple espagnol ! Ah ! si cela était certain, de terribles obligations s’imposeraient au gouvernement, qui, mis dans le cas de les remplir, les devrait remplir, en dépit de leurs conséquences[1]. »

Toutefois, M. Cánovas del Castillo n’ignore pas que ni le sang ni l’argent ne peuvent couler des veines de la nation, indéfiniment, sans qu’elles se tarissent. Ni le gouvernement espagnol ni le peuple espagnol ne veulent la guerre pour la guerre : ils appellent de tous leurs vœux cette paix, qui doit être une paix civile. Cuba ne revendique-t-elle que des franchises ? reconnaît-elle la souveraineté de l’Espagne ? demeure-t-elle attachée, comme colonie, à l’Espagne, comme métropole ? Si oui, vingt-trois décrets sont rédigés, qui lui donneront ces franchises et qui seront publiés, comme le sont déjà dix décrets pour Puerto-Rico, dès que les rebelles ne pourront plus se vanter de les avoir arrachés par la force à l’Espagne, battue et humiliée. C’est tout ce que veut M. Canovas, et c’est tout ce que veut l’Espagne. Ils veulent trancher eux-mêmes, à eux seuls, souverainement, la question de Cuba : ils veulent que cette question reste d’ordre intérieur et ne soit pas, par l’intervention d’un tiers, transférée dans l’ordre international… Mais Cuba est si près des États-Unis, et les États-Unis sont si prompts à prendre la tutelle de tout le Nouveau Monde, qu’un autre aspect du problème cubain se découvre, sous lequel il mérite d’être non moins sérieusement examiné.


CHARLES BENOIST.

  1. Discours de M. Canovas au Sénat, dans la séance du 1er juillet 1896.