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de fond en comble toute l’organisation de Cuba : il n’était plus le ministre en blanc, car les autonomistes avaient déteint sur lui. L’inspiration avait soufflé ; M. Gladstone lui était apparu ; et ce qu’il apportait aux Cubains, c’était, ni plus ni moins, une copie du home rule.

Il imaginait pour Cuba une Chambre, imitée du Conseil général du Canada, et l’île eût pris vis-à-vis de l’Espagne la position du Dominion vis-à-vis du Royaume-Uni, ou elle s’en fût beaucoup rapprochée. M. Sagasta, selon sa coutume, n’approuvait pas, ne désapprouvait pas, ne dirigeait pas, n’empêchait pas. Par indifférence et, tranchons le mot, par paresse. Les défauts des hommes publics sont publics comme ces hommes eux-mêmes : et « la paresse de Sagasta » est aussi proverbiale en Espagne que « la mauvaise humeur, le malhumor de Canovas. » — Aux tournans d’histoire, quand une nation a besoin d’être gouvernée, mieux vaut pour elle un homme d’État qui se fâche, qu’un homme d’État à qui tout est égal.

Tout est égal à M. Sagasta : il est, comme on l’a dit spirituellement, « la plus petite quantité possible de président du conseil des ministres » ; sa politique repose au moins sur un principe certain, qui est celui du moindre effort. Il ne s’agite pas et ses collaborateurs ne le mènent point, sans doute ; mais il ne les mène point non plus, et ils s’agitent et se mènent, à côté de lui, comme ils veulent. On l’a vu féliciter en même temps deux de ses amis, M. León y Castillo qui soutenait une thèse, et M. Moret qui soutenait la thèse contraire : il s’évitait ainsi la peine de choisir. Quoi d’étonnant que, dans une même présidence, il ait eu, sans en avoir une seule, trois politiques coloniales, suivant que son ministre des colonies s’est nommé M. Maura, M. Becerra, ou M. Abarzuza ? M. Maura avait une politique cubaine. Précieux secours, qui dispensait M. Sagasta de travailler pour s’en faire une. Il fallut qu’on lui démontrât de vive force que cette politique compromettait les droits et les intérêts de l’Espagne. — En quoi surtout ? s’informa-t-il. — Par la Chambre coloniale qu’elle instituerait. — Eh bien ! transigeons ; supprimons la Chambre et gardons le reste du projet : il n’est pas plus mauvais qu’un autre.

Non seulement, les questions du genre de celle-là sont de celles qui ne se peuvent poser qu’en des temps très calmes ; mais elles ne peuvent aussi être posées qu’à la condition d’être résolues. Remuer des idées de réforme, c’est s’engager à faire une