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voies ouvertes pour sortir de l’île à tous ceux qui voudraient le faire, sans que les révolutionnaires, après leur soumission, pussent être astreints au service militaire contre leurs amis de la veille.

Comment fut obtenue la capitulation du Zanjón, plus que violemment critiquée en son temps par des généraux même, entre autres par le général Salamanca, et, pour le dire brusquement, si D. Arsenio Martinez de Campos acheta ou non les rebelles, c’est un fait qui n’est pas encore absolument tiré au clair. Aux invectives du général Salamanca, le marquis del Pazo de la Merced, don José Elduayen, alors ministre des colonies, et M. Canovas del Castillo, alors comme aujourd’hui président du conseil, répondirent sur un ton tranchant et péremptoire[1] : Martinez Campos a toujours nié et fait nier ; M. Canovas n’a jamais officiellement reconnu que le gouvernement espagnol eût « acheté » la reddition de la Junte du Centre.

Peut-être n’est-il pas téméraire de croire qu’il y a lieu ici, à L’un de ces « distinguo » dont la casuistique politique ne s’interdit pas plus qu’une autre l’habile usage : distinguons. Si l’on prétend que le général Martinez Campos a payé les insurgés, avant de les avoir battus et pour qu’ils missent bas les armes, alors, non, il ne les a pas achetés. Mais si l’on soutient que, les ayant battus et contraints à déposer les armes, il a récompensé leur bonne volonté, il les a payés pour qu’ils se tinssent tranquilles, alors oui, il les a achetés. Il n’y a eu ni marché ni indemnité préalable et, en ce sens, le général n’a pas acheté la capitulation du Zanjón : il y a eu indemnité, dédommagement et comme demi-solde de non-activité ; en ce sens, le général l’a achetée[2]. Pas très cher : moins cher que, dans les cinq ou six semaines pendant lesquelles l’insurrection eût pu se traîner encore, la guerre eût coûté à l’Espagne : quelques millions de pesetas.

Mais déjà, le 10 février, il était manifeste que la révolution, au moins dans les départemens du Centre, était à bout de souffle, qu’elle haletait et râlait, et que ce qui leur restait de vie, ses adeptes le dépensaient à se déchirer les uns les autres. Les munitions et les vivres manquaient ; les discussions, les rivalités, les rancunes, les jalousies étaient arrivées aux extrêmes ; les « soldats »

  1. La Paz de Cuba. Discursos pronunciados por don Antonio Canovas del Castillo, y don José Elduayen, et dia 8 de Mayo de 1878.
  2. Voy. Eugenio-Antonio Flores, la Guerra de Cuba (Apuntes para la historia). — Les explications de M. Flores, tout dévoué au maréchal Martinez Campos, permettent d’en retenir l’aveu.