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à cause de notre position géographique, à l’extrémité de l’Europe, et entre deux mers. Vous tenez, vous, au continent ; vous y êtes solidement liés par une longue frontière territoriale, ouverte sur quatre ou cinq pays, et à travers ceux-là, sur tous les autres. Nous, nous sommes une péninsule, fermée, du côté de la terre, par de hautes montagnes. Nous n’avons de jour que sur l’Océan et sur la Méditerranée, une mer occidentale et une mer orientale.

C’était, en vérité, le génie de l’Espagne qui portait nos pères à suivre le double flot, se retirant et les attirant vers l’Occident et vers l’Orient ; et avec eux allait la fortune de l’Espagne. Comme péninsule, il nous faut une marine ; pour que nous ayons une marine, il nous faut une attraction sur la mer vers l’Orient et vers l’Occident ; et c’est en quoi Cuba et les Philippines nous tiennent par des liens que nous ne pouvons pas leur permettre de rompre. Il y va de la vie, il y va de l’honneur et, pourquoi le cacher ? il y va aussi de l’argent. Si pauvre, si affaiblie ou si attardée, si peu développée qu’on la dise au point de vue économique, l’Espagne a trois provinces au moins industrieuses et riches. Elle a les fers de la Biscaye, les tissus de la Catalogne et les blés de l’Andalousie ; quand même tout le marché intérieur leur serait réservé, il ne suffirait pas. En sorte que Cuba et les Philippines nous sont à la fois historiquement sacrées, politiquement nécessaires, et économiquement utiles. » Ainsi s’exprime, ou à peu près, un homme qui passe, à juste titre, pour dire de fort bonnes choses et les dire fort bien.

Mais de ces deux points opposés, de l’Occident et de l’Orient, l’un force et enchaîne l’attention plus que l’autre : l’Occident plus que l’Orient : Cuba plus que les Philippines ; soit que le péril paraisse moins grave ou moins urgent ici que là, soit qu’on le voie moins et que l’on connaisse moins les difficultés, soit qu’on y redoute moins de complications et de moins sérieuses ; soit que l’on dédaigne un peu ces adversaires à demi sauvages et qu’on se flatte d’en finir tout de suite avec eux lorsque l’on en aura fini avec les autres ; soit que l’on ne sente pas autant le prix des Philippines que le prix de Cuba, ou plutôt que les libres soient plus relâchées, qu’il y ait moins de communications entre la métropole et les colonies : le fait est que l’Espagne n’envoie aux Philippines, renforts en route ou en préparation compris, que de 25 à 30 000 hommes, tandis qu’elle a ou va avoir 220 000 hommes à Cuba.