Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu plus qu’il n’y en avait, du moins du côté de Monseigneur, qui ne témoignait pas grande attention à sa femme. Le lendemain de ces couches laborieuses où elle avait failli rester, il ne put se priver d’aller courre le loup, et la chasse l’entraîna si loin qu’il fut obligé de coucher à Rambouillet. La chasse absorbait la moitié de sa vie, et l’autre n’était pas pour la Dauphine. Peu à peu il tomba sous l’influence de sa demi-sœur, la princesse de Conti, personne belle, aimable, spirituelle, qui avait hérité, sous quelques rapports, des grâces de sa mère, Mlle de La Vallière. Il avait pris l’habitude de se rendre chez elle tous les jours avant le dîner pour se livrer à la conversation et surtout au jeu. La Dauphine souffrait de cette préférence accordée à la sœur sur la femme, et l’antipathie était vive entre elle et la princesse de Conti.

Monseigneur honora ensuite de ses attentions plusieurs femmes de la Cour, entre autres la comtesse du Roure et Mlle de La Force. (Celle que Saint-Simon appelle la Choin ne devait venir que plus tard.) Ses assiduités auprès de Mlle de La Force furent même pour la Dauphine l’occasion d’une tracasserie. En sa qualité de femme de l’héritier du trône, elle avait une chambre de filles d’honneur, c’est-à-dire qu’elle emmenait avec elle, partout où elle s’établissait, un certain nombre de demoiselles de qualité qui vivaient toutes ensemble, sous la surveillance d’une gouvernante. Mais ces chambres de filles d’honneur étaient difficiles à surveiller. Louis XIV en savait quelque chose pour avoir fait, au temps de sa jeunesse, mainte incursion heureuse dans la chambre des filles de Marie-Thérèse. Aussi avait-il résolu de rompre (c’était le terme consacré) la chambre des filles d’honneur de la Dauphine, et de les remplacer auprès d’elle par des dames du palais mariées. Il avait cependant différé, par égard pour les réclamations de la Dauphine qui voyait dans la suppression de ses filles d’honneur une diminution de son rang. Des incidens fâcheux, qui marquèrent certain voyage à Fontainebleau, le déterminèrent cependant à mettre à exécution cette résolution depuis longtemps prise. Mais Mlle de La Force, qui était précisément une des filles d’honneur supprimées, se mit en tête que la Dauphine avait sollicité cette mesure par un sentiment de jalousie contre elle. Elle se plaignit à Monseigneur, qui commit la maladresse d’adresser des reproches à la Dauphine. Outrée de tant d’injustice, celle-ci profita d’un moment où le Roi et Monseigneur se trouvaient ensemble dans son cabinet pour presser le Roi de dire à Monseigneur s’il était vrai