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meilleure femme du monde, qui avait le plus de soin des enfans de France et qui les élevoit avec le plus de dignité et de politesse. » Le petit prince était délicat et sujet à de fréquentes indispositions. Dangeau et Sourches, dans leurs Mémoires, parlent fréquemment de ses accès de fièvre. « Il a eu cinquante accès », dit un jour Dangeau. La fièvre, dans ces temps où les habitations étaient souvent insalubres, était un mal très ordinaire. Contre ce mal on avait découvert un nouveau remède : le quinquina. Mais ce remède, qui, sous des formes diverses, est d’un usage aujourd’hui si général, était alors fort discuté. On ne méconnaissait pas le bien qu’il produisait en coupant la fièvre, mais on en redoutait les effets sur la constitution, en particulier pour les enfans. Aussi, sur la question de savoir s’il fallait administrer du quinquina au duc de Bourgogne, y eut-il contestation entre la gouvernante et la mère. La gouvernante tenait pour le quinquina; la mère s’y opposait, et, bien que le Roi eût pris parti pour la gouvernante et le quinquina, ce fut la mère qui l’emporta. Toute la Cour avait su cette contestation, et Sourches, après l’avoir rapportée, ajoute philosophiquement: « Dans ces sortes de choses, c’est l’événement qui décide qu’on a bien fait ou mal fait. Car, si M. le duc de Bourgogne avait guéri de sa fièvre sans quinquina, on aurait dit que madame la Dauphine avait parfaitement bien fait, et, s’il lui était arrivé quelque accident, on s’en serait pris à madame la Dauphine[1] ». Mais comme le duc de Bourgogne finit par guérir, personne ne put s’en prendre à la pauvre Dauphine.

Jusqu’à sa mort, qui survint trois ans après ces incidens, on ne relève point d’autre trace de l’intervention de la mère dans l’éducation de l’enfant. Toujours grosse ou malade, la Dauphine menait une vie de plus en plus triste et effacée. Elle avait vu peu à peu se détacher d’elle un mari qu’elle avait au début tendrement aimé. Le Mercure rapporte que, lors de la première absence que fît Monseigneur après la naissance du duc de Bourgogne, elle avait, le long de la route par laquelle il devait revenir, disposé des vigies, qui devaient de proche en proche l’avertir par un signal, de façon qu’elle fût prévenue de son arrivée à temps pour se rendre au- devant de lui. « Ainsi on voit, ajoute le Mercure, la grande union entre monseigneur le Dauphin et madame la Dauphine, et qu’ils sont ensemble époux et amans[2]. » Mais le gazetier en dit un

  1. Mémoires de Sourches, t. II, p. 89.
  2. Mercure de France, octobre 1682.