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ou en sonnets la grossesse de la Dauphine, de même ils célébrèrent son heureuse délivrance. Cassini, alors directeur de l’Observatoire, chanta même l’événement en vers latins. Boyer, l’auteur de Judith, et Leclerc, l’auteur d’Iphigénie, que Racine a voués dans deux épigrammes célèbres à un ridicule immortel (ils n’en étaient pas moins de l’Académie française), se distinguaient chacun par un sonnet. Mais, au gré des connaisseurs, la palme était remportée par « l’illustre Mlle de Scudéry » qui, s’adressant au prince nouveau-né, savait marier à son enthousiasme pour le petit-fils une flatterie délicate pour le grand-père :


Vous pouvez surpasser tous les princes du monde,
De vos premiers exploits remplir la terre et l’onde,
Digne de votre nom, estre adoré de tous,
Et voir toujours Louis bien au-dessus de vous.


De Paris l’enthousiasme avait gagné la province. Il n’y eut si petite localité qui ne s’offrît des réjouissances publiques. Deux villes surtout se distinguèrent : Dijon, toute fière de ce que le nom de la province dont elle était la capitale avait été donné à l’héritier du trône, et Strasbourg, qui cependant n’était réuni à la France que depuis un an. L’empressement que mirent les Strasbourgeois à prendre leur part des réjouissances françaises fut fort remarqué. « Quoiqu’ils soient fort éloignés, leurs réjouissances ont été faites aussytôt que celles de beaucoup d’autres villes qui sont en deçà, et il a été aisé de voir par l’éclat qu’elles ont eu qu’ils ne se repentent point des soumissions qu’ils ont rendues au Roy comme à leur maître[1]. » Mais ces réjouissances avaient surtout un caractère religieux. Grâces étaient publiquement rendues à Dieu aussi bien dans les temples protestans que dans les églises catholiques (on touchait cependant à la révocation de l’édit de Nantes), et le Magistrat de Strasbourg, qui était probablement protestant, adressait à ses concitoyens, en style quasi biblique et en allemand, une oraison assez belle dont le Mercure traduisait ainsi la fin : « Accordez-nous, Seigneur, vostre grâce et vostre bénédiction, afin que sous le juste gouvernement et sous la puissante protection de nostre Roy et souverain seigneur et de toute sa maison royale nous puissions jouir d’une vie tranquille, dans l’exercice de toutes les vertus chrétiennes. » Strasbourg justifiait déjà ces mots que vingt-cinq ans plus tard devait écrire un plénipotentiaire

  1. Mercure de France, septembre 1682.