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ne nous brûlent pas ! » se borna-t-il à dire. Sa propre satisfaction lui faisait en effet oublier pour un instant cette étiquette dont il aimait à s’environner. Lorsqu’il sortit de l’appartement de la Dauphine pour se rendre à la salle où il devait souper, il se laissa en quelque sorte porter dans les bras de ceux qui l’environnaient. Une joie orgueilleuse éclatait sur son visage et respirait dans ses yeux. Il marchait d’un pas triomphal. Son instinct sûr devinait en effet qu’aux yeux non seulement de la France, mais de l’Europe, un nouveau prestige venait de s’ajouter à sa gloire. Tout lui réussissait, et la naissance d’un héritier direct, qui assurait son trône et sa race, devait lui sembler une dernière victoire remportée sur cet ennemi invisible et toujours menaçant : le destin.

Pendant que se passaient ces scènes de joie et de désordre, Clément continuait à prendre soin de la mère et de l’enfant. Pour calmer les vives souffrances dont la Dauphine ne cessait de se plaindre, il fit appliquer sur la partie douloureuse la peau d’un mouton qu’il avait fait écorcher tout vif dans la chambre voisine, au grand effroi de la Dauphine et de ses dames qui entrevirent à travers la porte ouverte la pauvre bête toute sanglante. On lui couvrit également le sein de deux petits matelas de laine, et on lui fit prendre une potion composée d’huile d’amandes douces, de sirop de capillaire et de jus d’oranges. Comme on croyait qu’il était mauvais pour les jeunes femmes de s’endormir aussitôt après leur délivrance, le chirurgien Dionys, qui avait assisté Clément, vint s’asseoir au chevet de la Dauphine, et soutint la conversation avec elle pour l’empêcher de se livrer au sommeil. Ce ne fut qu’au bout de trois heures qu’on la laissa enfin reposer. Pendant neuf jours on la tint dans une demi-obscurité. La chambre, dont les volets étaient hermétiquement fermés, n’était éclairée que par une bougie, et pendant six semaines un huissier, placé à la porte de son appartement, fut chargé d’écarter impitoyablement toute personne portant des odeurs, car on estimait que les parfums, quels qu’ils fussent, étaient contraires et même funestes aux nouvelles accouchées.

Quant à l’enfant, aussitôt né, il avait été enveloppé d’un linge et porté dans un cabinet voisin où on avait allumé un grand feu, bien qu’on fût au mois d’août. Il fut lavé avec une éponge trempée dans du vin légèrement chauffé dans lequel on avait fait fondre une certaine quantité de beurre. Clément vint lui donner les soins nécessaires, et placer lui-même la bande de corps. Après quoi on