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question qu’il lui adresserait au moment de la venue au monde de l’enfant, Clément devait répondre : Je ne sais pas, si c’était une fille, et : Je ne sais point encore, si c’était un garçon. A dix heures un quart et quelques minutes, après que la Dauphine eût passé encore par d’affreuses crises de douleur, l’enfant survint : « Qu’est-ce »? dit le Roi. « Je ne sais point encore, Sire », répondit Clément d’un air satisfait. Aussitôt le Roi s’écria à haute voix : « Nous avons un duc de Bourgogne, » et, s’élançant, il fit part de la nouvelle aux princes et aux princesses du sang. Puis, faisant ouvrir une des portes de la chambre de la Dauphine, il communiqua l’heureux événement aux duchesses et autres dames de premier rang qui cependant n’avaient pas le droit d’entrer dans la chambre. De son côté, la duchesse de Créqui, dame d’honneur de la Dauphine. l’annonçait aux hommes qui attendaient dans une autre pièce.

Il y eut alors un moment de confusion et de joie indescriptibles. Les uns voulaient percer la foule pour aller porter plus tôt cette nouvelle au dehors ; les autres voulaient au contraire pénétrer dans la chambre de la Dauphine dont la porte fut bientôt forcée. Ou versait des larmes de joie. Monseigneur, sorti de sa stupeur, embrassait toutes les dames, et, à son exemple, l’embrassade devint générale. Tous les rangs étaient confondus. Les valets même étaient entrés dans la chambre et se trouvaient ainsi mêlés aux personnes de qualité. Mais le Roi défendit qu’on les chassât, disant qu’ils n’avaient pas été les maîtres de leur joie.

De l’intérieur du château, la joie et la confusion gagnèrent bientôt le dehors. M. d’Ormoy, gentilhomme de la chambre, qui s’était élancé un des premiers, s’égosilla tellement à crier qu’on avait un prince, qu’il en demeura sans voix pendant plusieurs jours. Mais le signal fut surtout donné par un des mousquetaires de garde qui s’avisa de descendre dans la cour la paillasse sur laquelle il avait passé la nuit et d’y mettre le feu. Ce fut comme un signal. Il y avait dans la cour du château des poutres et des planches préparées pour construire des échafaudages. La foule en fit des feux de joie, et dans ces feux elle ne tarda pas à jeter tout ce qui lui tomba sous la main, chaises, bancs, parquets tout préparés. Des porteurs y jetèrent la chaise de leur maîtresse. Un valet poussa l’enthousiasme jusqu’à y jeter ses propres habits et demeura tout nu. On vint rendre compte au Roi de tout ce désordre, mais il ne fit qu’en rire : « Pourvu qu’ils