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été introduit par lui dans cette petite société pieuse qui entourait le jeune prince, et que, de loin, dirigeait Fénelon. Comme Beauvilliers, comme Chevreuse, comme Fénelon lui-même, il avait mis son espoir en celui qui devait être un jour le souverain tout-puissant de la France, et il fut de ceux que sa mort prématurée atteignit à la fois dans leurs affections légitimes et dans leurs rêves ambitieux.

Louville survécut dix-neuf ans à celui qu’il avait servi et aimé. Sauf pendant une courte mission en Espagne que lui confia le Régent, il vécut dans la retraite. « Il s’était, disent ses Mémoires secrets, retiré dans la demeure de ses pères, pour se livrer tout entier à l’étude, à sa famille et à ses amis[1].» Les premiers désordres qui marquèrent le règne de Louis XV trouvèrent en lui un juge sévère; et ce fut sans doute dans une heure de tristesse qu’à l’entour du portrait d’un maître regretté et chéri il fit graver l’inscription mélancolique que nous avons relevée.

Ces figures que les destins n’ont fait que montrer à la terre sont parfois, par une sorte d’équitable compensation, celles qui vivent le plus longtemps dans la mémoire des hommes. Lorsque de grandes catastrophes ont suivi de près leur disparition, la postérité se plaît à penser qu’elles auraient su les conjurer, et s’attendrit longtemps sur leur perte. Ainsi les vieux Romains, qui avaient vu les splendeurs du règne d’Auguste devaient tourner souvent leurs pensées et leurs regrets vers ce Marcellus dont Virgile avait chanté la mort d’une façon si touchante, et qui aurait épargné à l’Empire les cruautés de Tibère et les folies de Caligula. Ainsi les témoins attristés des erreurs et des débauches de Louis XV ont dû souvent pleurer ce jeune prince dont, suivant les paroles célèbres de Saint-Simon, la France n’était pas digne, et qui avait paru à Dieu déjà mûr pour la bienheureuse éternité. De nos jours encore, ceux qui trouvent que la France a payé bien cher les progrès qu’elle doit à la Révolution ne peuvent s’empêcher de se demander s’il n’aurait pas suffi d’un roi équitable, modéré et vertueux, succédant à Louis XIV et empêchant Louis XV, pour que la France goûtât ces progrès sans les payer si cher. La curiosité des historiens s’est piquée de discerner ce qu’aurait bien pu devenir le duc de Bourgogne, et s’il aurait répondu par son règne aux espérances qu’il suscitait. D’érudites publications ont été

  1. Mémoires secrets du marquis de Louville, t. III, p. 192.