Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
REVUE DES DEUX MONDES.

d’attirer l’attention publique sur les événemens antérieurs qu’il est toujours utile de bien connaître pour mieux envisager les éventualités futures. Un long séjour en Orient nous autorise, croyons-nous, à entreprendre cette tâche, sans autre prétention d’ailleurs que celle d’apporter un bien modeste contingent aux informations qu’il importe, en ce moment, de réunir et de propager en les mettant en pleine lumière.


I

Vers le milieu du XVIIe siècle, l’Empire ottoman, parvenu à l’apogée de sa grandeur, constituait un État puissant et redoutable. Ayant solidement assis sa capitale sur les deux rives du Bosphore, il était le maître absolu de la Mer-Noire et de la mer Egée, même de la mer Ionienne ; il possédait en Europe, en Afrique, comme en Asie, de vastes territoires, comprenant une population de près de 40 millions d’âmes, s’étendant des bords de la Leitha aux confins du Sahara, et par l’Egypte, jusqu’aux frontières de la Perse et aux montagnes du Caucase. Il porta ses armes victorieuses jusque sous les murs de Vienne et il en fit le siège ; ce fut son dernier effort de conquérant et son premier revers ; il échoua dans cette entreprise à laquelle succéda la longue série ininterrompue de ses désastres. Successivement battus par Sobieski, par le duc de Lorraine, par le prince Eugène, les Turcs furent contraints de signer, en 1699, la paix de Carlowitz, abandonnant à l’Autriche la plupart de leurs possessions de Hongrie, et cédant le port d’Azof à la Russie, qui faisait sa première ou sa principale apparition dans la lutte séculaire que la chrétienté soutenait contre l’islamisme. De nouvelles guerres, toujours malheureuses pour l’empire ottoman, suivies de nouveaux traités, en rétrécirent successivement les frontières soit en Europe, soit en Asie, le plus souvent au profit de l’empire des tsars. Enfin, par le traité d’Andrinople, conclu en 1829, l’empereur Nicolas imposa à la Porte une clause stipulant l’autonomie des provinces de Valachie et de Moldavie, qui furent ainsi investies du droit de s’administrer elles-mêmes moyennant un tribut annuel, et délivrées de la rapacité des fonctionnaires envoyés de Constantinople et uniquement préoccupés du souci de rançonner leurs administrés.

Aux pertes subies par la Porte dans les possessions du nord de l’empire, vinrent s’ajouter, dans le midi, la révolte et la