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la Porte rentrait dans tous les fonds qui lui reviennent légitimement, elle ne serait plus embarrassée pour faire face à ses engagemens, ni même aux dépenses que les réformes rendraient nécessaires ; mais parce qu’il y a dans l’impossibilité où elle se trouve d’opérer ces recouvremens quelque chose d’assez inquiétant pour ses créanciers, plus inquiétant à coup sûr que les velléités qu’on lui attribue au moins prématurément de manquer aux promesses qu’elle leur a faites. Il est dans la nature, dans la fatalité des choses, que l’Empire ottoman aille toujours en s’effritant, et, bien que nous fassions tous nos efforts pour maintenir son intégrité, il faut prévoir le cas où, un peu plus tôt, un peu plus tard, — le plus tard sera le mieux, — d’autres provinces encore viendront à se détacher du vieil édifice. Qu’arrivera-t-il si, conformément au précédent de fait que constate M. Bowles, ces provinces se dispensent de prendre à leur charge une partie correspondante de la dette commune ? L’Empire ottoman ressemblera pour ses créanciers à la légendaire peau de chagrin qui allait toujours en diminuant. La créance restera la même ; il est même à craindre qu’elle n’augmente ; le gage s’amoindrira toujours jusqu’à ce qu’il ait totalement disparu.

On comprend que cela nous touche, nous qui sommes les principaux créanciers de la Turquie. Si une commission vraiment politique et internationale se réunissait à Constantinople, précisément celle qui a été prévue par le protocole 18 du Congrès de Berlin, elle ne pourrait se dispenser d’aborder ces questions délicates, et, sans parler de l’avenir, elle rencontrerait pour le règlement du passé des difficultés que tout le monde aperçoit. On ne saurait dire que toutes les puissances aient un égal intérêt politique, pas plus d’ailleurs que financier, à la réunion de cette commission, et lorsque M. de Nélidof en a fait la menace à la Porte, peut-être ce qui est une menace pour elle deviendrait-il, à la réalisation, un embarras pour d’autres. Mais comme manifestation diplomatique, sa note était tout à fait opportune. Elle montre que la Russie se préoccupe comme nous, voire à cause de nous, des intérêts des créanciers de la Turquie, et que son concours éventuel ne nous ferait pas défaut si leurs intérêts étaient lésés. Cette démonstration était nécessaire après les mauvais bruits qu’on avait fait courir : elle a été faite avec éclat.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.