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passions aux nôtres pareilles. Et cela n’est pas banal, et cela n’est point d’un médiocre intérêt.

Dans cette voie particulière, M. Saint-Saëns peut-être a été moins loin : j’entends par là que non moins curieux et respectueux même de l’élément exotique, il s’en affranchit plus vite pour le dominer de plus haut. Cet esprit classique, — autrement dit général, — entre tous, est venu tard à l’exotisme. La Princesse jaune, une « princesse lointaine » déjà, n’est d’un orient ni très pur ni très profond. Biblique beaucoup plus qu’orientale est la beauté de l’admirable Samson. Avec les Mélodies persanes, esquisse de cette Nuit persane que le Conservatoire encore vient de nous faire entendre ; plus tard avec la Suite algérienne, M. Saint-Saëns entra dans ce qu’on pourrait appeler sa période ou sa manière voyageuse. La Valse canariote, Africa, en étaient les œuvres les plus récentes. La seconde partie du nouveau concerto m’en parait le chef-d’œuvre. Il ne s’agit ici ni d’amusette, ni de bibelot, ni de pacotille, ni seulement de mélodies plus ou moins singulières, notées plus ou moins fidèlement. Les thèmes sont étranges, lointains, et je les crois volontiers authentiques ; présentés en outre avec toute la couleur, toute la saveur de l’orchestre que vous savez. Mais la beauté, la vérité supérieure n’est pas en eux ; elle est dans la transformation, dans la transfiguration qui s’opère en eux, dans la fusion de ces élémens sonores, qui sont l’exception, la nature et l’instinct, avec la musique, qui est conscience, qui est règle, qui est art enfin.

Trois parties composent ce remarquable morceau ; rapsodie plutôt que symphonie. D’abord, sur un accompagnement de cordes au rythme inégal, aux sonorités rudes, se dessine une mélopée d’Orient. Traversée de gammes rapides, en des modes bizarres, elle est coupée de fantasques points d’orgue. Puis un chant infiniment doux se fait entendre, égal autant que l’autre était capricieux. C’est un chant des bateliers du Nil. Il dit le tranquille courant et la paix auguste du fleuve ; çà et là un accent plus fort marque et la cadence des rames et le profond soupir des rameurs. Voilà l’élément indigène et le document authentique. Mais bientôt — on pourrait dire exactement à quelle mesure — l’artiste supérieur intervient. Il ouvre au thème une voie nouvelle, un plus large horizon. Il en tire des conséquences et comme des déductions exquises. Il l’agrandit, l’épanouit en musique pure, et l’humble cantilène d’Egypte entre ainsi dans l’ordre et comme dans le cercle divin de l’universelle beauté.

Au motif africain — l’unité de lieu, nous l’avons dit, n’étant pas rigoureuse en ce genre de musique — succède un motif