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magnifique et courageuse de toute une vie. C’est une couronne d’épines qui fleurit et se couvre de roses quand les cheveux commencent à blanchir. » Ce sophisme est aussi bien celui du don Juan romantique. Hélas ! pour en être dupe il faudrait ne pas regarder autour de soi. Avec la puissance de son envolée dans le faux, l’intrépide romancière reste persuadée qu’elle n’a engagé que son âme. Elle regrette de n’avoir pu vivre entre les deux hommes et les rendre heureux sans appartenir ni à l’un ni à l’autre. Elle croit sincèrement qu’elle le souhaitait. Elle s’applaudit d’une sorte d’austérité, difficile à expliquer très clairement, et qui aurait présidé à ses rapports avec Musset : « Avons-nous un seul souvenir de ces étreintes qui ne soit chaste et saint ? » Comment en serait-il autrement puisqu’il ne s’agissait en tout cela que de la plus grande gloire de Dieu ? « Dieu lui-même, ce que tu appelles ma chimère, ce que j’appelle mon éternité, n’est-ce pas un amour que j’ai étreint dans tes bras avec plus de force que dans aucun autre moment de ma vie ? » Il se pourrait que Dieu n’eût rien à faire dans ces sortes de rencontres ; mais les romantiques le dérangent pour très peu de chose. L’amour, tel que nous essayons ici de l’analyser, est à base de sensualité. George Sand l’ignore ou ne veut pas le savoir ; c’est sa première et plus grave illusion et d’où toutes les autres découlent. Tel est d’ailleurs l’amour que célèbre désormais la littérature. De Saint-Preux à Lélia, en passant par Bernardin de Saint-Pierre et par Chateaubriand, toute cette littérature crie, et j’allais dire qu’elle brame le désir. — Les deux amans ont un passé qu’ils ne peuvent ni accepter ni oublier, dont l’image entretient chez eux la jalousie, le doute, l’inquiétude : ils ne cessent d’aspirer à un amour où la confiance naîtrait de l’estime. — La passion est égoïste ; ils veulent à toute force y introduire un élément qui lui est étranger : la bonté. Chez George Sand la bonté prend naturellement la forme de la maternité. Il n’y a dans son œuvre que trop d’exemples de cette perversion du sentiment qui mêlant la maternité à l’amour donne à celui-ci un vague relent d’inceste. Mais comment ne s’est-elle jamais avisée de ce qu’il y a de désobligeant pour l’imagination dans ces caresses d’amante données par « une mère » ? Certaines délicatesses ont manqué à cette riche organisation, comme elles firent également défaut à presque tous les grands romantiques. Le dernier effort de la bonté transformant l’amour, c’est de toute évidence le renoncement de la passion se sacrifiant elle-même. C’est ici qu’intervient l’épisode de Pagello. Alors même qu’elle sera lassée de cette gageure, George Sand continuera d’en célébrer l’extravagance lyrique. « Adieu donc le beau